
C’est un coup d’audace. Il en faut bien un de temps en temps. La prudence devient pourtant ce qui caractérise le mieux les musées actuels, confrontés au problème de leur fréquentation. Aussi faut-il saluer le culot de David Lemaire, qu’on a connu au Mamco genevois, de proposer à La Chaux-de-Fonds la peinture de Stéphane Zaech. Il ne s’agit en plus pas d’une rétrospective à proprement parler. Le Musée des beaux-arts contient au rez-de-chaussée les toiles des dix dernières années. Le public ne connaîtra donc pas la manière dont l’artiste vaudois en est arrivé là. C’est qu’il ne s’agit plus à proprement parler d’un jeune homme! Le Veveysan est né en 1966. Faites le calcul. Vous arrivez tout de même à 56 ans. La maturité.
Un Vevey qui bougeait
Zaech est donc né au bord du Léman, qui faisait des vagues à la fin des années 1980. C’était le moment où Alain Huck et Catherine Monney créaient dans un vieil appartement de Vevey l’Espace M2, dont l’activité dura de 1987 à 1991. Ils pouvaient compter sur la collaboration de Jean Crotti et Jean-Luc Manz. Une exposition du Musée Jenisch a du reste rappelé cette épopée locale en 2017. Je vous en avais parlé. Juste auparavant, Stéphane Zaech, qui étudiait aux Beaux-arts lausannois, lançait le collectif Adesso Nachlass, dont la vie se révélera à peine plus longue: 1986-1992. Il y formait un trio avec le metteur en scène et performeur Massimo Furlan et le peintre Stéphane Fretz. Il y avait des frémissements dans une ville qui ne s’était pas encore totalement embourgeoisée. Vevey, c’est aujourd’hui Genève en plus cher (et plus mignon tout de même!).

Zaech a accompli depuis une carrière discrète. Il n’a pas explosé sur le plan commercial comme son concitoyen Alain Huck avec ses grands dessins. L’homme a certes exposé, mais dans des lieux peu courus. Le peintre a aussi écrit, publiant «Natchez» en 2002. Il faut dire que son ex-associé Stéphane Fretz est devenu éditeur, créant à Lausanne la précieuse maison art@fiction en 2000, avec une extension située à Genève depuis 2007. Le Vaudois ne possède donc pas un de ces CV où les galeries prestigieuses s’entassent à un rythme toujours plus soutenu. S’il reste lié à une l’une d’elles, c’est au siège zurichois de Katz Company. Ses œuvres restent donc assez difficiles à voir dans les parages. La seule que je connaisse exposée en permanence figure au second étage du MCB-a de Lausanne. Il s’agit de «Pearl Harbor (Madonna dell’Orto)» de 2007.
«Quand on peint, on pense seulement à la manière de s’arranger pour mettre la couleur sur sa toile.»
Cette toile muséale intrigue et interpelle. Regardée rapidement, elle semble respecter la plus stricte figuration. Vue de près, elle offre un maximum de distorsions, pour le pas dire d’impossibilités anatomiques. Ce n’est plus Ingres, qui jouait déjà avec la vérité pour obtenir davantage de beauté. Ce n’est pas encore Picasso, qui offre simultanément plusieurs points de vue. Les personnages de Stéphane Zaech n’en possèdent pas moins facilement trois yeux ou quatre bras. Leurs jambes ne sont pas forcément tournées les deux dans le même sens. D’où pour les spectateurs un malaise ou une jouissance accrue. L’artiste ne se sert guère de cette béquille que constitue un texte explicatif. Il laisse libre son public. A lui de se débrouiller, face à cette peinture fort peu intellectuelle. Directeur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds et commissaire, David Lemaire avoue du reste avoir éprouvé beaucoup de mal à écrire sur Stéphane Zaech.

Les salles voient ainsi défiler dans des salles blanches d’apparents portraits, des compositions à plusieurs personnages se référant à l’art le plus classique (du Tintoret à Vélasquez) ou des paysages devenus un peu fous. Il n’y a selon l’artiste pas là de pourquoi mais simplement un comment. «Quand on peint, on pense seulement à la manière de s’arranger pour mettre la couleur sur sa toile.» Cette vision modeste rejoint celle du Français Maurice Denis vers 1890. «Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une autre quelconque anecdote, est une surface plane comportant des couleurs en un certain ordre assemblées.» La jouissance à créer se trouve là, et nulle part ailleurs. La difficulté aussi. La seule justification du résultat pour Stéphane Zaech devient en effet la peinture elle-même. C’est bon ou c’est mauvais. Il se trouve beaucoup d’œuvres aux cimaises du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds. En cas d’échec, l’auteur peut toujours se rattraper, me direz-vous. Reste cependant la monotonie. Elle se révèle impossible à éviter. Rien de bien grave. On ne répète tous dans la vie.
L’autre Néfertiti
Un dernier point, le titre. Il faut tout de même que je vous explique. L’exposition s’appelle «Néfertiti». Inutile de chercher là une influence égyptienne, genre tombeau de Toutânkhamon. Le nom vient d’un morceau de Wayne Shorter et du Miles Davis Quintet. Pas de la pharaonne que fut Madame Aménophis IV. Voilà qui ne sonne pas tout à fait de la même manière!
Pratique
«Stéphane Zaech, Néfertiti», Musée des beaux-arts, 33, rue des Musées, La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 23 octobre. Tél. 032 967 60 77, site www.mbac.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h.
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La Chaux-de-Fonds – Le Musée des beaux-arts reçoit Stéphane Zaech
Le peintre veveysan débarque avec ses personnages aux anatomies improbables. Une peinture sensuelle, qui ne se justifie que par elle-même.