
C’est le prototype même de l’exposition qui doit se mériter. «Peindre hors du monde» exige tout d’abord un voyage à Paris, où la chose se voir présentée au Musée Cernuschi. Obtenir en ligne un billet ne se révèle pas toujours si aisé que cela. La présentation touche en effet le noyau dur des sinisants cultivés, et il en existe beaucoup. Ce sont là les gens que l’on retrouvait à la Fondation Baur de Genève. Des amateurs connaissant leur histoire chinoise (plus japonaise, plus coréenne…) sur le bout d’un doigt prolongé par un ongle majuscule de lettré.
Une rupture historique
«Peindre hors du monde» se situe à une époque précise. En 1644, les Mandchous s’emparent de Pékin. C’est officiellement la fin de la dynastie Ming, qui durait depuis 1368. Pour les Chinois de haut rang, il s’agissait là d’une double, voire d’une triple défaite. Les Qing n’avaient aucune légitimité. C’étaient en plus des étrangers, comme jadis les Mongols. Aucune culture. Aucune civilisation… Nombreux furent donc ceux qui refusèrent de pactiser, et a fortiori de collaborer avec le nouveau régime. Le mot d’ordre devint la dispersion loin des honneurs. Il fallait se retirer au couvent, dans la nature, en province ou tout simplement chez soi. La sagesse était déjà dans le pré. Ce mouvement de retrait n’a rien eu d’éphémère. Il faudra attendre le début du XVIIIe siècle pour que tout rentre dans l’ordre et que la société, comme l’économie, retrouvent leur ordre ancien.

Ces trois générations (ou au moins deux et demi) ont vu l’éclosion d’une belle céramique, devenue peu abondante, et d’une peinture qui a fasciné depuis les amateurs. C’était le cas de Ho Iu-kwong (1907-2006), dont le Cernuschi présente une partie de la collection, donnée en 2018 au Musée d’art de Hongkong, qui la montre depuis 2019 sous le nom de Chih Lo Lou («Le pavillon de la sérénité parfaite»). L’homme, sur lequel le musée se montre très discret (on pense aux frères Zuellig et à leur ensemble Meiyintang conservé au Museum Rietberg de Zurich!), avait créé l’entreprise de construction Fook Lee à Hongkong, alors colonie britannique, en 1938. La maison avait follement prospéré. La chose a permis à son fondateur d’acquérir à partir de 1950 de la peinture chinoise ancienne, qui se trouvait alors en abondance sur le marché. Ho Iu-kwong avait formé un très important fonds pour le XVIIe siècle, dont sa famille a fait cadeau à la Ville . Trois cent cinquante-cinq peintures, auxquelles se sont par la suite ajoutées huit autres pièces.
A la manière des maîtres anciens
L’ensemble frappe par sa cohérence. Il s’agit d’un art savant. Référentiel. Les artistes de ces temps troublés (dont les plus connus restent Zhu Da ou Shitao) ont presque toujours œuvré en pensant à des créateurs célèbres des siècles précédents. Le comble du genre est atteint au Musée Cernuschi par un ensemble de douze rouleaux verticaux où Lang Ying (1585-1664) a exécuté sur fond discrètement doré des paysages inspirés chacun par un peintre différent. Il s’agit là d’un jeu pour connaisseurs. Il leur faut reconnaître et identifier. Voir aussi les libertés que Lang Ying s’est permises par rapport aux modèles choisis. Idem pour les calligraphies. Ce ne sont pas là de simples textes. La patte originelle, qui a servi de matrice, doit également devoir se repérer. Il est permis de trouver de tels procédés proches de la sclérose à force de répétitions. Les pièces proposées ne s’en révèlent pas moins magnifiques.
Il existe plusieurs manières de visiter une exposition comme celle-ci. Vous pouvez, comme certains visiteurs, vous pénétrer intellectuellement de chaque trait, qui prendra pour vous une signification profonde. Il est aussi possible de parcourir la chose en Béotien. En touriste. Après tout, les textes sacrés en arabe coufique, les inscriptions cunéiformes ou les rangées de hiéroglyphes échappent eux aussi à notre entendement. Aimer ne suppose pas toujours de comprendre. Aimerait-on du reste toujours autant si l’on comprenait?
Pratique
«Peindre hors du monde», Musée Cernuschi, 7, avenue Vélasquez, Paris, jusqu’au 6 mars 2022. Tél. 00331 53 96 21 50, site www.musee.cernuschi.paris.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h30. Réservation conseillée.
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Exposition à Paris – Le Musée Cernuschi présente «Peindre hors du monde»
Le Musée d’art de Hongkong a prêté des œuvres sur papier de la collection Chih Lo Lou datant du XVIIe siècle, quand les lettrés s’écartaient du pouvoir.