
Il en restait encore une! Dans la surabondance des expositions proposées à l’occasion de l’ouverture en juin d’un Mudac et d’un Photo Elysée associés au Musée cantonal des beaux-arts, j’avais jusqu’ici zappé sur «Ecouter la Terre». Il s’agit d’une présentation d’œuvres récemment entrées dans les collections du Mudac. Une institution pourtant peu patrimoniale, comme je vous l’ai souvent dit. Nous sommes très loin à Lausanne de l’esprit de conservation et de classification qui caractérise depuis plus d’un siècle à Zurich le Museum für Gestaltung aux 500 000 objets.
Dans l’air du temps
Dirigé depuis 2000 par Chantal Prod’Hom, qui s’est volontairement mise en retrait pour s’occuper de l’entité en devenir Plateforme10 (Marco Constantini la remplaçant provisoirement), le Mudac a tout de même effectué des emplettes. Il s’agissait d’en rendre compte pour l’inauguration du nouveau lieu. Il semblait plus valorisant de montrer des pièces autour d’un thème unique. «Ecouter la Terre» se situe dans l’air écologique du temps. Le sujet permet aussi de prouver la belle âme du musée. «Notre politique d’acquisition s’engage à un véritable positionnement en regard des préoccupations actuelles et soulève, par le biais des œuvres, des pistes de réflexion riches» (1), dit la brochure d’accompagnement de l’accrochage proposé par Amélie Bannwart et Isaline Vuille. Voilà qui nous promet une belle répétition, ou plutôt de multiples redites, de ce que vous pouvez lire tous les jours dans votre journal préféré sur les méfaits de l’anthropocène… Il n’y aura en effet pas au Mudac un seul mot qui ne soit devenu un truisme sans que les choses changent pour autant.

L’essentiel du plateau dévolu au Mudac étant consacré à l’exposition sur le train (je vous en ai parlé en son temps), «Ecouter la Terre» se situe dans les bords ou plutôt à la périphérie des lieux. Pour tout dire, elle apparaît un peu «cougnée» contre les murs, comme on aurait naguère dit en Pays de Vaud. Il s’agit d’une sorte de boyau, qui doit en prime contourner l’espace consacré aux enfants. Est-ce pour lui donner une sorte de visibilité? Le décor de Magali Conus et Boris Dennler donne dans le spectaculaire. Les œuvres sélectionnées se voient posées sur des sortes de rochers noirs en polystyrène du genre «sagex». Mais attention! Du «sagex» écologique et responsable. Un immense texte, affiché au mur d’entrée et repris dans la brochure, justifie ce choix qui aurait pu sembler non seulement audacieux, mais contradictoire par rapport aux nobles buts affichés. Le problème de «l’après» s’est vu anticipé. Le matériau retenu par les scénographes «est recyclé à 100% en Suisse romande avec un transport de moins de 40 kilomètres». Vive le polystyrène expansé! Il n’en demeure pas moins que, théâtral au possible, le résultat manque pour le moins de modestie. Il vole la vedette aux objets.
«Notre politique d’acquisition s’engage à un véritable positionnement en regard des préoccupations actuelles et soulève, par le biais des œuvres, des pistes de réflexion riches.»
Parler d’objets me semble cependant inapproprié. Le péché mignon de la maison étant, comme je vous l’ai déjà dit, de faire de l’art contemporain bis, il s’agit plutôt d’œuvres. L’aspect utilitaire reste faible, voire inexistant. Nous sommes au milieu d’«inutilitaires». La pièce est proche du tableau. Ou de la sculpture. Avec des multiples détours par l’installation. L’usage apparaîtrait sans doute trop vulgaire pour des choses concentrant tant de réflexions sociales et écologiques. Je prendrai pour seul exemple le meuble à sept tiroirs superposés de Formafantasma, un bureau de design formé par les Italiens Simone Farresin et Andrea Trimarchi en 2011. On eut jadis parlé à son propos d’un semainier. Eh bien là, si l’on peut pour une fois effectivement ranger pour une fois des slips et ses chaussettes, il faut aller plus loin. Le duo «investigue des thématiques telles que l’utilisation des ressources naturelles, la montée du racisme, la migration et la crise des réfugiés, la pauvreté rurale, l’héritage du passé colonial de l’Italie et ses traditions artisanales.» Vous m’en direz tant! A mon avis, on se la pète ici tout de même ici un peu.

Bien sûr, il y a tout de même des choses amusantes, ou intéressantes. Le scénographe Boris Dennler a utilisé un vieux radiateur tordu pour le transformer en siège. Inconfortable et froid. «Mais le concept de chaleur intervient avec l’idée de la fonction originelle du radiateur». Voilà qui nous fera une belle jambe cet hiver! Le «Spa Spa» de Yusukké Y. Offhause, est un petit rocher de céramique permettant, après s’être décomposé en assiettes, de cuire des viandes devant les convives. Un pied de nez au véganisme ambiant. Quant à l’«Eisberg» d’Huber Huber, céramique blanche stabilisée dans une sorte d’aquarium, il entend évoquer Freud et ses désirs inassouvis tout en rappelant le problème de la fonte des banquises. Vous mettrez bien un glaçon dans votre verre d’eau, non?
«Le concept de chaleur intervient avec l’idée de la fonction originelle du radiateur».
Si beaucoup de pièces sacrifient peu à l’esthétique en dépit de leurs prétentions, Il y a tout de même de bonnes choses au milieu des rochers de polystyrène noir. Maud Schneider a modelé trois oreillers de grès et porcelaine avec l’hyperréaliste «Pillow». Les grosses graines de verre soufflé du Vaudois Yann Oulevay dérivent des meilleures traditions de Murano. Les papillons sous cloche de Bouke de Vries (découvert naguère au château de Nyon) composent une magnifique Vanité. Les lampes du Mischer’traxler Studio, qui s’allument au passage du visiteur en faisant vibrer à l’intérieur des insectes (artificiels), composent enfin une intelligente métaphore de la disparition des espèces, tuées par notre pollution lumineuse.
Jeu de piste
L’ensemble se découvre livret à la main. Il n’y a aucun cartel. Aucun numéro indicatif non plus. Il suffit donc de reconnaître la photographie de l’objet, tirée en vert pâle. La chose exige du temps, une bonne vue et l’abnégation d’un public par ailleurs catéchisé. Elle devient insupportable à la longue. De qui se moque-t-on? Le plaisir de visite devient quasi nul. Et si la prochaine fois, au lieu d’aller suivre au Mudac son cours de rattrapage en matière d’écologie, on allait se promener au magasin IKEA d’Aubonne? Là, tout se voit indiqué, à commencer par les prix…
(1) On rejoint ici un peu les préoccupations de l’ICOM, organisation faîtière des musées mondiaux. L’ICOM va tenir son congrès à la fin août 2022 dans Prague.
Pratique
«Ecouter la Terre», Mudac, 17, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 25 septembre. Tél. 021 318 44 00, site www.mudac.ch Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h.

Et que devient à propos la Fondation Jacques-Edouard Berger, exclue du nouveau Mudac? Bonne question…
Je ne sais pas si vous avez encore en tête l’ancienne configuration du Mudac sur la place de la Cathédrale. Il y avait ainsi au sous-sol l’archéologie de la Fondation Jacques-Edouard Berger (1945-1993). Les caves vont bien avec l’idée de produits de fouilles. Il s’agissait là d’une jolie collection, déposée au musée. Elle avait été formée à partir des années 1970 par un Lausannois qui fut conservateur su Musée cantonal des beaux-arts (dirigé par son père René Berger). Brillant sujet, Jacques-Edouard, travailla également à l’EPFL, l’ICOM et l’Unesco. Puis il lança en Pays de Vaud une maison de voyages de culturels qui proposait pour le lard du chat (1) des expéditions de haut niveau en Egypte ou au Moyen-Orient. Décédé prématurément d’une crise cardiaque, l’homme avait ainsi su se former un «fan-club».
Changement de politique
Les règles légales demeuraient alors moins strictes qu’aujourd’hui. Il restait possible de ramener de ses voyages en Chine ou au Caire des objets archéologiques secondaires certes, mais tout de même de bonne tenue. Berger en avait acheté beaucoup, que le public pouvait voir par roulement au Mudac, héritier du Musée des arts décoratifs existant avenue de Villamont au moment du décès de Berger. Alors dirigée par Rosemarie Lippuner, une dame charmante, cette dernière institution s’intéressait avant 2000 aux objets fonctionnels. Un petit département antique n’aurait pas trop mal fait dans le paysage si le lieu n’avait pas été aussi petit. C’était cependant moins la tasse de thé du Mudac, qui se veut tourné vers le présent et bien entendu l’avenir. D’où sans doute en partie l’enterrement en sous-sol.
Archéologie à Rumine
Eh bien la Fondation a disparu du bâtiment élevé place de la Gare sans que nul ne s’en soit ému! Plus le moindre objet. Plus rien. Aucune mention. Un gros silence. La question du devenir de cet ensemble se pose donc légitimement. Faudrait-il lui faire rejoindre l’archéologie locale au Palais de Rumine? J’ai après tout vu là le résultat de fouilles suisses en Grèce. Mais si vous voulez mon avis, il y a de quoi décourager là une certaine forme de mécénat. Même s’il s’agit d’un prêt à long terme, la chose mériterait un certain suivi. La chose incomberait-elle au fait à Beatrice Leanza, la nouvelle directrice du Mudac dès 2023?
(1) Très cher, donc.
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Exposition à Lausanne – Le Mudac fait aujourd’hui «Ecouter la Terre»
Le musée montre une partie de ses collections sous le signe de l’écologie. Un ramassis de lieux communs et tout de même des œuvres de qualité.