
Cela devrait ressembler à un dialogue de sourds, ou en tout cas de malentendants. Selon les conservateurs du Mudac, il aura fallu de gros efforts pour qu’une pieuvre et un presse-agrume se parlent. Je trouve pourtant qu’il existe un accord parfait entre la salade de poulpe et le citron… Il est vrai que je n’utilise pas dans ma cuisine l’instrument de Philippe Starck présenté ici. Un classique du design lancé en 1988 par Alessi. J’aurais trop peur que le jus finisse dans l’un de mes yeux. Voire les deux. La fonctionnalité ne me semble pas toujours le but premier du design.
«A côté de grands noms de la création, le Mudac tient spécialement à suivre et soutenir les projets de jeunes artistes locaux à travers l’acquisition de travaux de diplôme de l’ECAL ou de la HEAD notamment.»
C’est donc au célèbre modèle de Starck (un monsieur dont on ne parle plus beaucoup…) et à une terrible céramique de Mai-Thu Perret que fait allusion «Dialogue entre une pieuvre et un presse-agrumes». Une exposition sensée illustrer la diversité des collections du Mudac, en partie héritées de l’ancien Musée des arts décoratifs, situé avenue de Villamont dans une sorte de garage souterrain. Numériquement, celles-ci restent pourtant faibles, quoi qu’on en dise à Plateforme10. Voire quasi insignifiantes. Un peu plus de 3000 numéros acquis en quatre ou cinq décennies (1), reste selon moi une poussière face aux 500.000 «items» du Museum für Gestaltung de Zurich, qui demeure en Suisse la référence en la matière. Surtout si l’on pense qu’il existe au Mudac de gros «noyaux». Le prestigieux ensemble de verres offert un couple de mécènes, aujourd’hui décédés, compte à lui seul environ 700 pièces…

Il n’en demeure pas moins que cette poussière se veut signifiante. «A côté de grands noms de la création (Mai-Thu en fait-elle au fait partie?), le Mudac tient spécialement à suivre et soutenir les projets de jeunes artistes locaux à travers l’acquisition de travaux de diplôme de l’ECAL ou de la HEAD notamment.» Les achats accompagnent également la politique d’expositions, ce qui semble sensé. On aimerait juste qu’ils soient davantage liés à leur esthétique ou à leur aspect pratique. Voir en eux «l’illustration des thématiques sociales actuelles en adéquation avec les préoccupations du musée» me semble bien prétentieux. Le Mudac de Chantal Prod’Hom hier et de Beatrice Leanza aujourd’hui a-t-il vraiment comme but premier de penser le monde? Et le monde attend-il véritablement de se voir pensé par le Mudac?
Décalé, mais par rapport à quoi?
Mais trêve de considérations générales! Quels sont au juste les 186 objets retenus pour ce parcours voulu comme de juste «surprenant et décalé»? Autrement dit parfaitement conformiste dans l’esprit actuel, vu que tout se désire «surprenant et décalé» depuis bien trente ans. Eh bien il y a un peu de tout dans l’exposition, mais sur un registre plutôt noble. Respectable. Le Mudac n’aime pas tant que cela l’utilitaire. La section abritant quatre bouilloires d’Alessi (signées il est vrai Andrea Branzi, Michael Graves, Frank Gehry et Richard Sapper) fait presque figure d’ovni au milieu d’œuvres dues à des créateurs patentés. Il s’agit sinon de féliciter la main du moins de saluer des talents, pour ne rien dire des cerveaux.

Des talents, il en existe bien sûr au milieu de ces choses présentées dans un décor de bois blanc éminemment recyclable. En céramique, ils vont de Philippe Barde à Rebecca Maeder ou Alberto Viola. Pour les bijoux, il y a Natalie Luder et Bernhard Schobinger. Côté graphisme, Fabrice Gygi tranche sur Tom Tirabosco. Dans le domaine pas toujours si fragile que ça du verre, Timo Sarpaneva peut tutoyer le couple Monica Guggisberg & Philip Baldwin. Il y a par-ci, par-là des machins pouvant servir à quelque chose. Outre un gril de table signé Daniel Cocchi (que Sandrine Rousseau trouverait sans doute machiste!), j’ai ainsi noté le grand panier en plastique bleu de Konstantin Grcic pour Authentics. Une marque bien représentée au Mudac.

Bref, il y a de quoi glaner le long du parcours en forme de boyau laissé aux collections en marge de la grosse exposition sur le Liban dont je vous parlerai bientôt. Les visiteurs doivent hélas le faire un lourd cahier à anneaux à la main afin de découvrir ce qu’ils voient. Le cartel explicatif au mur ne constitue sans doute pas une préoccupation majeure du design…
(1) Je dois dire à la décharge du Mudac que ses réserves ont subi il y a quelques années une inondation catastrophique pour les œuvres sur (ou en) papier.
Pratique
«Dialogue entre une pieuvre et un presse-agrumes», Mudac, 17, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 7 janvier 2024. Tél. 021 318 44 00, site www.mudac.ch, Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h.

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Exposition à Lausanne – Le Mudac marie la pieuvre et le presse-agrumes
Le musée propose une plongée dans ses collections. Un fonds assez peu important. Les choix sont plus sociaux qu’utilitaires.