Révolution digitaleLe métavers, une ruée vers l’or qui donne le vertige
L’internet en mode immersif devient de plus en plus populaire, attirant jusqu’aux géants de la tech. Promoteurs, architectes, gameurs, artistes et marques de luxe y créent déjà les emplois et l’économie du futur.

Imaginez un instant. Casque Oculus sur la tête, après une journée de travail dans l’open space virtuel de votre entreprise (projet pilote actuellement mené par Meta), vous quittez les avatars de vos collègues et visualisez ceux de vos amis Facebook connectés dans l’espace commun.
Petite virée shopping avec l’un d’entre eux, vous entrez dans votre boutique de mode favorite, comme si vous y étiez, très loin de l’expérience médiocre des (oubliés) sites d’e-commerce. Bien conseillé par un vendeur métavers, vous achetez une veste de travail en double, une réelle pour vos jours en présentiel (livrée à la maison) et une pour votre avatar.
Puis vous vous rendez tous deux à une séance dans l’un des cinémas virtuels du quartier, avant de saluer votre ami, et de retirer votre casque après dix heures d’immersion. Vous avez interagi directement avec 20 personnes, visité trois lieux différents, gagné 300 francs, dépensé 200, le tout sans sortir de chez vous.
Bienvenue dans le métavers, internet du futur.
Belles promesses…
Avec l’abolition générale des distances sous casque Oculus, Meta ambitionne de plonger 3 milliards d’utilisateurs dans un monde parallèle en réalité virtuelle d’ici à 2025. Prévoyant la création de 10’000 emplois, juste pour poser l’infrastructure, elle entraîne dans son sillage les géants de la tech et du divertissement dans une course mondiale aux compétences.
Zurich se positionne actuellement comme hub du métavers, réunissant autour de l’EPFZ des acteurs comme Meta, Microsoft ou encore Disney, qui ouvrent tous bureaux ou centres de recherche. Les possibilités économiques sont vertigineuses pour un marché qui pesait déjà 500 milliards de dollars en 2020: le seul secteur de la mode s’attend à 50 milliards de dollars de revenus supplémentaires d’ici à 2030 dans le métavers, selon Morgan Stanley.
… concrétisées sur la blockchain
Conscientes du potentiel, les marques n’attendent pas Facebook et surfent déjà sur cette fièvre qui s’est emparée de la blockchain depuis plusieurs mois. Portée par le gaming et l’art digital, une folie foncière et immobilière déferle sur les quatre continents leaders: Cryptovoxel, Somnium, et surtout The Sandbox et Decentraland, dont la capitalisation de marché s’est envolée.
Malgré une expérience 3D sur écran moins immersive que la VR, les parcelles les mieux situées s’arrachent à prix d’or. Sotheby’s y a construit dans le très huppé «Voltaire Art District» la réplique de son siège londonien, entraînant une hausse générale des prix. L’entrepreneur vaudois Swiss Crypto Cat envisage de louer un emplacement pour une galerie d’art dans Cryptovoxel. Il note déjà «une gentrification de certains quartiers».
Le Genevois Shaban Shaame, fondateur d’EverdreamSoft et pionnier du gaming, est parvenu à trouver un terrain bien situé sur The Sandbox pour 100’000 francs suisses, grâce au travail de son «prospecteur métavers», embauché à 40% pour gérer l’activité. Faute de disponibilité en première main, le terrain a été déniché sur le marché secondaire, par le biais de la plateforme NFT OpenSea et négocié par le biais d’un chat Discord.
Objectif: construire un hub social où les fans puissent se rencontrer, immergés dans l’univers héroïque fantasy du jeu «Spells of Genesis» d’Everdreamsoft. «Un lieu d’échange social, qui resserre les liens de la communauté, donne de la visibilité, et peut-être à terme aussi un nouveau canal pour vendre des cartes», ambitionne Shaban Shaame, qui décrit le métavers comme «la conquête de nouveaux continents».
«Les métiers de la construction métavers se retrouvent dans la configuration des agences web dans les années 2000, quand tout le monde voulait son site internet.»
Snoop Dog, haute couture et casinos
Ce hub social qui prendra place sur la parcelle acquise à prix d’or a été dessiné par le studio français d’architectes Nabiya, entreprise «métavers native», selon Marie Franville, CEO, qui se définit comme «créatrice d’expériences sociales». Parmi les six studios au monde partenaires de The Sandbox, Nabiya croule sous la demande: «On voit du Fashion PFP, des artistes comme Snoop Dogg, des éditeurs de jeu comme Atari», ce dernier se préparant par ailleurs à lancer un casino dans Vegas City sur Decentraland.
Marie Franville doit refuser la grande majorité des projets, et sélectionne durement. «Les métiers de la construction métavers se retrouvent dans la configuration des agences web dans les années 2000, quand tout le monde voulait son site internet.»
Promoteurs, constructeurs, prospecteurs, antiquaires NFT, sculpteurs 3D ou VR: la liste des emplois dans le métavers ne cesse de s’allonger. «J’ai rencontré quelqu’un qui lance une sorte d’Airbnb cross-métavers, en louant des terrains inutilisés pour des activités temporaires comme un pop-up store ou une expo de cryptoart», relève Marie Franville, qui dit attendre le développement d’agences événementielles et de «déménageurs», qui déplaceront les constructions d’un terrain à l’autre. Designers de mode, spécialistes juridiques pourraient être rapidement actifs dans les mondes virtuels, déjà envahis par les métiers de la vente.
Deux facteurs clés
Ce far west décentralisé résistera-t-il au rouleau compresseur Facebook? Nicolas Sierro, vétéran romand de l’industrie du gaming, dit imaginer «la cohabitation d’un ou deux grands métavers réalistes, avec des univers plus personnalisés pour des communautés comme les gameurs ou les passionnées de BD par exemple».
«Un avatar ou item NFT acheté par un utilisateur doit pouvoir s’utiliser dans des métavers différents. Pour l’instant l’absence de standards reste un frein.»
Il cite Second life, premier test à grande échelle d’un concept de métavers dans les années 2000. «Les entreprises se positionnaient, notamment Cisco ou encore Swisscom. Je me rappelle être entré dans une cabine Swisscom dans Second life et avoir envoyé un SMS, qui est arrivé à son destinataire dans la vie réelle.» Une expérimentation sociale qui n’avait pas résisté à l’arrivée de Facebook, et que le géant californien pourrait ressusciter quinze ans après.
Swiss Crypto Cat, qui lance son entreprise de création de mondes virtuels, reste circonspect sur la capacité des métavers blockchain à survivre à la déferlante Facebook. Il estime que les vecteurs d’adoption à grande échelle seront «une création de contenu facile pour les utilisateurs», mais aussi le matériel (accessibilité des casques VR), et surtout, l’interopérabilité des mondes: «Un avatar ou item NFT acheté par un utilisateur doit pouvoir s’utiliser dans des métavers différents. Pour l’instant l’absence de standards reste un frein.»
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