
Il avait vu Dieu, été prostituée au Palais-Royal dans une autre vie (au XVIIIe siècle) et reçu chez lui des extraterrestres. Dans un délire ayant fait date, Paco Rabanne avait même annoncé en 1999 la destruction de Paris. La station russe orbitale MIR allait tomber à cause d’une erreur de calcul (ou par propos délibéré) sur la capitale française. D’où un début de panique, qui avait valu au couturier des ennuis. L’Espagnol était ce qu’on appelle un allumé, même si la suite de sa carrière s’est vue marquée par une progressive extinction des feux. En 1999 justement, Rabanne abandonnait la haute couture pour un prêt à porter toujours demeuré chez lui confidentiel. L’homme ne vivait en fait que par ses parfums, conçus sous l’aile de la puissante maison Puig. Cette société barcelonaise les diffuse du reste toujours, avec un certain succès. Il suffit de regarder attentivement les «pubs», où l’essentiel réside dans le flacon: «Phantom», «1 Million», «Invictus»…
Avenir intergalactique
Francesco Rabaneda Cuervo, dit Paco Rabanne, avait ainsi su conserver une vague notoriété. En ont témoigné ces dernières heures les nécrologies, même si toutes (ou presque) semblent issues de la même dépêche, transmise par l’Agence France Presse. Il faut dire que le Basque incarnait, comme on dit dans ces cas-là, «toute une époque». A partir d’un premier défilé ne comprenant en 1966 que douze robes qualifiées par leur auteur d’«importables», le couturier a fait la Une de tous les journaux de mode. Avec son aîné de onze ans André Courrèges (1923-2016), il incarnait le «renouveau» de la couture. Cette dernière quittait les froufrous et les plissés pour une sobriété voulue digne de l’âge intergalactique s’annonçant pour bientôt. Paco Rabanne travaillera du reste sur les costumes du film «Barbarella» (1968) de Roger Vadim avec Jane Fonda. La vieille Coco Chanel, qui haïssait tous les créateurs de mode sauf elle-même, parlait de lui comme du «métallurgiste». Mais après tout Courrèges incarnait bien pour elle «le géomètre», comme Elsa Schiaparelli restait «L’Italienne qui fait des robes».

Le futur Rabanne était pourtant un enfant du sérail. Si son père avait acquis le rang de général (fusillé en tant que tel par les franquistes en 1936), sa mère fut en son temps première main à San Sebastián, la ville natale de Paco. L’illustre Cristóbal Balenciaga avait là sa maison au début des années 1930. En 1939, l’enfant s’était retrouvé à cinq ans réfugié politique en France avec sa maman. Il y est resté , devenant après une première formation architecte. La chose se remarquera plus tard dans ses créations. A ses débuts dans le métier, le jeune homme se contentera cependant de bijoux fantaisie et de boutons pour Dior, Saint Laurent ou Pierre Cardin. Vous remarquerez qu’il y avait déjà là du métal. De la Paco-tille. La suite résultera d’un coup d’audace. Ses robes faites de lamelles assemblées à la main avec des rivets seront beaucoup regardées, faute de se voir souvent portées. Impossible ou presque s’asseoir sans en prendre plein les fesses. Notez que de ces dernières, son plus célèbre mannequin en avait fort peu. Rabanne a en effet beaucoup dû à l’appui de la chanteuse Françoise Hardy, alors au faîte de sa gloire. On a souvent photographié cette dernière, entourée de gardes du corps, arborant une minirobe en or massif.

Il fallait cependant pouvoir vivre, entre deux lectures ésotériques et deux prédictions hasardeuses. Il y a donc eu les parfums, à commencer par le célèbre «Calandre», né en 1968. Encore du ferrugineux! Comme Saint Laurent, qui se situe à ses antipodes, Rabanne ne va jamais cesser de créer de nouvelles senteurs, ou plutôt de leur donner son nom. Il y aura aussi les collections boutiques, mais là il semblait impossible de régater avec l’empire YSL. Paco constituait en fait un pur produit médiatique, avec ce que cela suppose de retombées. Il lui fallait juste ne pas se faire oublier. Une chose difficile quand on a incarné les années insouciantes où la France se croyait riche. Quand il a monté en 2019 sa rétrospective, présentée au Musée Le Secq des Tournelles (qui conserve en principe des serrures et des grilles en fer forgé), Rouen a du reste éprouvé le plus grand mal à retrouver assez de robes faites de métal. Il n’en a jamais existé beaucoup, et la plupart d’entre elles avait depuis longtemps disparu. Fondues?

La présentation normande de ces sortes d’armures, ou plutôt de cottes de mailles, avait surtout fait sentir à quel point les années avaient passé. Le féminisme actuel n’est plus celui des BD de Jean-Claude Forest, avec des héroïnes pour le moins court-vêtues. Il s’incarne dans des apparences neutres, asexuées, assorties de déclarations chocs. L’essentiel réside désormais dans le message verbal, et non plus dans les apparences physiques. D’où une relégation progressive du couturier, devenu «incorrect», aux oubliettes. Quand un journal romand titre aujourd’hui «Le célèbre couturier Paco Rabanne est mort», il faut y voir le signe que le créateur n’était plus si connu que cela. Pour les jeunes générations, il ne représente pas grand-chose, même si Martin Margiela s’est à un certain moment beaucoup réclamé de lui. Margiela a lui aussi posé fin 2009 ses plaques, qui n’étaient cette fois pas faites de métal. Comme le temps passe…

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Mode – Le «métallurgiste» Paco Rabanne est mort
Le couturier avait fait sensation à la fin des années 1960. Son étoile avait ensuite pâli. L’homme a aussi beaucoup donné dans le délire intellectuel.