
Il fallait le faire, que ce soit par plaisir ou pour satisfaire à un devoir. Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MCB-a) consacre depuis quelques jours une exposition à Silvie Defraoui, 88 ans. Son œuvre entier ne se voit pas abordé, vu que la manifestation se contente d’un grand plateau au deuxième étage. La commissaire Laurence Schmidlin a choisi de montrer son œuvre «d’après». En 1994, l’artiste a en effet perdu son compagnon de longue date Chérif, avec qui elle travaillait à quatre mains. Comme au piano. Les œuvres présentées dans un espace comme il se doit blanc de blanc sont donc son fait personnel, même si elles se voient ponctuées de souvenirs d’Egypte, le pays natal du conjoint disparu.
Le temps de l’ESAV
Silvie est de Saint-Gall, comme sa cadette Pipilotti Rist qui se situe, elle, aujourd’hui dans la soixantaine. Elle a grandi entre son canton natal et les Grisons avant de se lancer dans les beaux-arts. Etudes dans un Alger encore français, où elle pratique la peinture. Complément à Genève, où la débutante s’attaque alors à la céramique. Elle a déjà rencontré Chérif, avec qui elle vivra bientôt entre l’Espagne et le canton de Vaud. En 1974, son compagnon commence son enseignement à Genève. L’établissement ne se nomme à cette époque déjà plus l’Ecole des beaux-arts, mais l’Ecole supérieure des arts visuels. Ou ESAV. Que voulez-vous? La mode est désormais aux acronymes. L’époque a changé, après 1968.

Avec Silvie qui le rejoint en 1975 afin de former un binôme, Chérif professe les «médias mixtes». On ne fait désormais plus de la sculpture ou du dessin (c’est devenu ringard), mais des installations ou une vidéo encore grisâtre et balbutiante. Le couple va former des disciples jusqu’en 1994, la veuve tenant bon la rampe jusqu’en 1998. Deux générations de débutants vont ainsi se retrouver marqués. Comme toujours, il y aura les zélotes (autrement dit les fidèles) et les hérétiques (là, pas besoin d’explications). Contrairement à ce qui veut l’actuelle doxa, les Defraoui n’ont en effet jamais fait l’unanimité. Tant mieux d’ailleurs pour la diversité!

Le couple expose parallèlement beaucoup à l’époque. Defraoui est devenu un nom, surtout après la fondation de ses «Archives du futur» en 1975. Un concept-manifeste. Ils le font dans des galeries genevoises aujourd’hui disparues (Gaëtan, Marika Malacorda…), mais aussi à travers la péninsule Ibérique et au Centre d’art contemporain que vient de créer dans notre ville Adelina de Furstenberg. La France ou l’Allemagne suivent. Le temps est partout aux concepts d’un art voulu pur, et surtout dur. L’ESAV jouit par ailleurs au loin d’un certain prestige intellectuel. On y reste dans l’artisanat culturel. Les choses changeront quand l’institution deviendra en 2006, après fusion avec les Arts appliqués, la Haute Ecole d’art et de design ou HEAD. L’enseignement passera alors du petit artisanat cousu main à la grosse industrie sous la direction à la fois volontariste et exhibitionniste de Jean-Pierre Greff. Mais la greffe prendra… Une gigantesque poudre aux yeux selon moi.

Restée seule, Silvie n’est pas demeurée inactive comme le prouve l’actuelle exposition, montée avec soins en compagnie d’une intéressée très impliquée. Il y a donc un peu de tout aux cimaises du MCB-a et dans le cube installé au milieu de l’immense salle, qui abrite pour sa part de la vidéo projetée sur les parois aussi bien que le sol. Le visiteur retrouvera surtout de la photo, mais pas présentée comme telle. Nous ne sommes pas à l’Elysée voisin. Il y a ainsi des bâches flottantes avec de gigantesques fleurs imprimées sur fond de paysage dévasté. Des images volontiers égyptiennes réalisées (ou collectées), puis mises bout à bout dans des cadres aux formes souvent compliquées. Juxtaposés, ceux-ci forment des compositions murales. Le visiteur découvre des dessins projetés en ombres chinoises sur des clichés un peu flous, montrant des palmiers. Il y a aussi plusieurs mots poétiques utilisés afin de créer des suites de tableaux lumineux, mais minimaux. Tout se mêle fatalement dans «Le tremblement des certitudes». Nous sommes dans le Parkinson intellectuel.

Très propre, très soigné, presque léché, cet ensemble un peu décoratif tient-il du grand art? La question peut se poser. Il possède au moins le mérite de ne pas apparaître daté, comme ce que produisaient les Defraoui dans les années 1970 ou 1980. Il règne là une certaine originalité, avec davantage de séduction que de force. On en vient parfois à se demander si la principale contribution de Silvie n’aura pas été son apport pédagogique, la section «médias mixtes» ayant été supprimée à son départ de l’ESAV, comme si tout était devenu impossible sans elle. Son rôle maïeutique (autrement dit de l’accouchement) aura ici été du même ordre que celui en céramique de Setsuko Nagasawa, à l’œuvre personnel en revanche très fort.

Voilà. C’est dit. D’où finalement mon retour au début de cet article. Il fallait bien sûr monter cette rétrospective, qui se contente d’un petit catalogue avec des images en couleurs, une préface assez neutre de Juri Steiner (actuel directeur du MCB-a) et le texte de la commissaire Laurence Schmidlin. ce dernier retrace ce qu’il faut bien appeler une trajectoire. Reste cependant la grande question. Celle qui fâche. Le musée se situe à Lausanne. Je veux bien que l’artiste ait longtemps vécu et travaillé à Vufflens-le-Château, non loin de là dans la campagne vaudoise (1). Mais pourquoi ici, et pas Genève? Le Mamco, n’a plus rien fait pour Silvie Defraoui depuis 2005. Une année après laquelle on a du reste peu vu la femme où que ce soit… Le creux de la vague en dépit de plusieurs prix culturels… Il est vrai que ceux-ci, de celui de la Ville de Genève au diplôme de la Fondation Leenaards, tiennent de ce que l’on appelle poliment «le couronnement de carrière». Bref, ce que les Américains nomment, de manière plus réaliste, un «Life Achievement».
(1) Au MBC-a une œuvre de Silvie faisait du reste déjà l’affiche de l’exposition vouée aux collections de la BCV ou Banque Cantonale Vaudoise.
Pratique
«Le tremblement des certitudes, Silvie Defraoui», Musée cantonal des beaux-arts, 16, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 21 mai. Tél. 021 318 44 00, site www.mcba.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h.
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Exposition à Lausanne – Le MCB-a raconte le voyage solo de Silvie Defraoui
L’artiste a longtemps été liée à son mari Chérif, mort en 1994. Elle produit désormais seule, loin de l’enseignement où elle a beaucoup donné.