
Les musées connaissent plusieurs manières de faire parler d’eux. Traditionnellement, ce sont les collections qui se trouvaient au centre des intérêts. C’est de moins en moins le cas, le public se concentrant depuis plusieurs décennies sur les événements éphémères, autrement dit les expositions. Notez que le fonds d’une institution garde à ce moment-là son utilité. Il sert souvent de monnaie d’échange. Il y a enfin les grandes restaurations. Celles qui révèlent de manière théâtrale les grandes œuvres du passé, telles qu’elles étaient à l’origine. Du moins, on le suppose. Quel foin n’aura-t-on ainsi pas fait autour du nettoyage radical du plafond de la Sixtine par Michel-Ange depuis 1980? Il faut dire qu’il y a vraiment là un avant et un après…
Nouvelle entrée prévue
Le Louvre a commercialement fait une excellente année 2022 par rapport à 2021. Plus 17 pourcents, ce qui donne un total de 7,8 millions de visiteurs. C’est déjà trop selon moi. Mais comme tout se juge aujourd’hui de manière quantitative, il manque encore 19 pourcent en regard de 2019. Directrice de l’institution, Laurence des Cars tente cependant de calmer le jeu en imposant, grâce au système des réservations quasi obligatoires, un plafond quotidien à 30 000 entrées. Il s’agit d’éviter la «congestion» autour des œuvres les plus courues, certaines salles demeurant en revanche vides. Laurence rappelle ainsi «le plaisir de visiter», qui s’était perdu quand son prédécesseur Jean-Luc Martinez était arrivé à une fréquentation de 10 millions de têtes de pipe par an. Il faudrait pour ce faire une autre entrée que la Pyramide. La directrice pense aujourd’hui à la Colonnade. Mais ce n’est bien sûr pas pour demain.

Si je sais tout cela, c’est parce que j’ai lu (dans le train, si vous voulez tout savoir) la revue «Grande Galerie» No 62, qui couvre les activités du printemps 2023 du musée. J’ai ainsi vérifié que sur le plan des expositions, «le premier musée de France» restait pauvre. Depuis la clôture le 23 janvier de celle sur la nature morte intitulée «Les choses» (dont je suis resté l’un de rares à dire du mal) il ne se passe rien de notable dans l’institution. Cela ne va pas s’arranger! La prochaine présentation, intitulée «Naples à Paris», ne commencera que le 7 juin. Et encore s’agira-t-il là du provisoire déménagement d’une partie des chefs-d’œuvre du Museo di Capodimonte de Naples, aujourd’hui en travaux. Il y en a pour deux ans, mais le directeur a promis, juré, craché qu’il n’y aurait jamais de fermeture totale. Le chantier tournera. Le responsable étant Français, puisqu’il s’agit de Sylvain Bellenger, il a donc choisi le Louvre comme garde-meuble. Ses Titien, ses Raphaël et ses Parmigianino (ce dernier faisant l’affiche, vu le penchant actuel pour le maniérisme) se verront exposés en regard de ceux de Paris. A charge de revanche sans doute…
Le chien restera caché
Alors de quoi parle donc «Grande Galerie» pour meubler le vide? De quelques acquisitions, bien sûr, dont celle d’une merveilleuse sculpture en terre cuite Renaissance de Michel Colombe. Mais le gros du numéro printanier se voit voué à de spectaculaires restaurations. Celle qui produira sans doute le plus d’effet sur le public est le nettoyage de «La mort de Sardanapale» d’Eugène Delacroix, datant de 1827. L’immense toile était devenue presque illisible, tant les vernis avaient foncé. Ajoutez à cela la saleté, pour ne pas dire la crasse. L’épisode (imaginaire) assyrien semblait avoir passé au mieux dans une bassine de chocolat ou au pire à travers la fosse septique des latrines muséales. La chose frappait d’autant plus que le Louvre a redonné bonne mine en 2021 aux «Femmes d’Alger» (1834) de l’artiste. C’était bien. Ce fut mieux encore deux ans avant avec «Les massacres de Scio» (1824). Ils avaient changé de couleurs, certains détails sortant du néant.

Le chantier Delacroix se poursuit donc, et il faut espérer qu’il comprenne un jour «La prise de Constantinople par les Croisés» (1840). La toile est encore plus brunâtre si possible que ne le demeurait jusqu’à ces derniers mois «La mort de Sardanapale» (2). Pour cette dernière, les premières images se révèlent ahurissantes. C’est un peu comme si on avait allumé l’électricité dans une chambre plongée dans l’obscurité. Les tonalités sont devenues d’une extraordinaire intensité. Tout a changé, des chairs féminines aux plumets des chevaux sacrifiés par le potentat exigeant que les témoins de son existence périssent sur son bûcher funèbre. Les restaurateurs sont allés loin, mais en respectant certaines limites. L’artiste avait ainsi effacé un chien tentant de s’enfuir. Il se cache quelque part sous un drap rouge du lit. L’animal y restera. On ne va pas aller contre les intentions finales de Delacroix.
Mécénat américain
Ce n’est pas tout! En 2022,le Louvre a commencé avec l’aide d’un comité international et quatre restauratrices le nettoyage de la «Maestà» de Cimabue, livrée vers 1280 à une église de Pise. Il s’agit à la fois d’en traiter le support de bois et de s’attaquer à la couche picturale. Là aussi, les couleurs ont radicalement changé, à en juger par les images. Le manteau de la Vierge n’est plus noir comme si elle était en deuil, mais d’un incroyable bleu permis par l’usage massif d’un pigment au lapis-lazuli venu d’Afghanistan. La couleur la plus chère. Les roses, les verts amande, les ocres ont retrouvé leur délicatesse, avec des effets de transparence. Contrairement à ce que l’on pensait, Cimabue peignait très vite, avec un coup de pinceau particulièrement ample. Il faisait du ton sur ton à la Matisse, afin de faire chanter le résultat. Les quatre restauratrices (Rosaria Motta, Emanuela Bonaccini, Audrey Bourriot et Claudia Sindaco) se montreront aussi légères que possible. L’immense tableau (1) le permet. Il reste dans l’ensemble dans un excellent état. On se montrait très professionnel vers 1280.

C’est un couple américain, Harry et Linda Fath qui paiera pour Cimabue le gros de la facture. Environ 300 000 euros. Ultra-catholiques mais plutôt ouverts, les mécènes ont l’habitude des grosses dépenses. Quand ils donnent aux universités (religieuses, bien sûr!) c’est à coups de 50 millions de dollars. A part cela, les Fath adorent le Louvre. «On y découvre toujours des œuvres que l’on ne connaissait pas.» Ce sont eux qui ont choisi la «Maestà». Un coup de cœur. «Elle est à couper le souffle, et nous sommes impatients de la voir après sa restauration.»
(1) La «Maestà» mesure 480 centimètres de haut sur 280 de large. Je rappelle qu’un autre Cimabue s’est vendu en France courant 2019 pour 24 millions d’euros. Il mesure 26 centimètres sur 20… Faites le calcul pour le panneau du Louvre!
(2) «Grande Galerie» n’en parle pas. La prochaine restauration Delacroix sera celle de «La liberté guidant le peuple» (1830). Il s’agirait là d’un «point d’orgue».
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Revue muséale – Le Louvre rend ses couleurs à Eugène Delacroix
«Grande Galerie» consacre un long dossier à ses restaurations de chefs-d’œuvre. «La mort de Sardanapale» vient avant la «Maestà» de Cimabue.