
C’est sans doute un peu tôt pour sortir les bougies d’anniversaire. La commande au pâtissier peut à mon avis attendre. Ce sera le 4 décembre en effet que le Louvre de Lens fêtera son 10e anniversaire en grande pompe. Le transfert de la maison mètre du «Scribe accroupi», chef-d’œuvre absolu du Nouvel Empire égyptien, tout comme la visite surprise d’Emmanuel Macron, venu à la pêche aux voix dans la région, a cependant devancé l’événement. «Le Figaro» vient ainsi de publier son bilan d’une décennie en matière de décentralisation. Alors, pourquoi pas moi?
Une décision parisienne
Le quotidien a tendu équitablement le micro à tout le monde, ce qui n’est pas mon genre. Je vais plutôt vous raconter la genèse de l’affaire, sa douloureuse mise en place, les dénégations du pouvoir et les couacs qu’a connus une entreprise par ailleurs hautement estimable. Tout a commencé alors que Jean-Jacques Aillagon, qui aura joué les caciques durant des décennies, était ministre de la Culture entre 2002 et 2004. La France parlait alors de régionalisation, un exercice dont elle reste cela dit parfaitement incapable. Il fallait au Louvre son annexe dans une région déshéritée. Mon curé chez les pauvres, en version culturelle et moderne. Le Centre Pompidou avait déjà décidé de créer une antenne dans une vraie ville, autrement dit à Metz. A côté de la gare, en plus, qui reste une fabuleuse construction allemande néoromane terminée vers 1910. La voie semblait donc tracée.

Ce n’était cependant pas une cité (plus ou moins) touristique qui devait accueillir un Louvre bis, tout aussi dépourvu de collections que le Beaubourg lorrain. Les grands penseurs songeaient à une agglomération en pleine détresse économique afin de créer un «effet Bilbao». Vous savez. Le musée imaginé par Frank Gehry en forme de tourte de la Forêt-Noire ayant redonné vie à une ville basque d’Espagne. Se retrouvaient ainsi en compétition des agglomérations du Nord comme Béthune, Boulogne-sur-Mer, Calais ou Valenciennes. Plus Lens, qui semblait au bord de la catastrophe économique après la fermeture progressive de ses mines de charbon. Il y avait là au moins 20 pour-cent de chômeurs déclarés. Un plus en l’occurrence. Lens l’a en effet moins emporté sur son dossier que pour «le peuple de la mine qui avait tant souffert». Ce qui est d’ailleurs vrai.
Hall démesuré
Il a fallu une combinaison financière regroupant le Conseil régional, le Département, une Communauté et la Ville même. Le budget a comme de bien entendu pris l’ascenseur. Il est passé de 117 millions à 127, puis à 150. Des «peanuts» par rapport à ce que l’on voit à Genève. Les architectures choisies étaient restées sobres par rapport à l’ego manifesté par Shigeru Ban à Metz, où les premiers travaux de réparation ont dû intervenir au bout d’un an. Le bâtiment en longueur argenté imaginé par l’agence SANAA (Kazuyo Sejima + Ryŭe Nishizawa) s’étalait sur un unique étage. Avec beaucoup de place perdue, il est vrai. Il y avait notamment là un hall de près de 4000 mètres carrés. Mais la surface au sol frôlait les trois hectares, tandis que le jardin en occupait vingt autres près des anciens terrils.

Tout se révélait fin prêt le 4 décembre 2012, quand un François Hollande plus chiffonné dans son complet-veston que jamais est venu inaugurer la nouvelle institution. Elle comprenait deux parties distinctes. La plus originale était la «Galerie du Temps». Un tableau synoptique en 3D, avec des œuvres originales importantes prêtées par le Louvre allant de la préhistoire à 1850. Il manquait juste l’Extrême-Orient, qui relève de Guimet, et l’Afrique subsaharienne, puisque l’on ne doit plus dire l’Afrique noire. Mais on restait moins chatouilleux sur le racisme il y a dix ans. Même lacunaire, l’ensemble n’en donnait pas moins une excellente idée du passage des civilisations qui, comme on le sait depuis Paul Valéry sont mortelles.
Un goût pour le «pointu»
L’autre aile, avec entre les deux une libraire un peu maigrelette et une cafétéria de second ordre, servait aux expositions temporaires. Il me faut là glisser quelques bémols. La plupart apparurent certes excellentes et d’un haut niveau scientifique. Mais fallait-il vraiment que Paris envoie à Lens ses manifestations les plus pointues? Celles dont le Louvre père (difficile ici de parler de mère) se méfiait en raison du faible succès public attendu, même dans la capitale? Passe encore pour «Rubens et l’Europe» ou «Renaissance». Mais «D’or et d’ivoire», «Pologne, peindre l’âme d’une nation» ou même la rétrospective sur les frères Le Nain s’adressaient à un public de niche. D’où une fréquentation moyenne. De 900 000 visiteurs en 2013, elle est tombée à environ 300 000 personnes en 2019.

Il faut dire que si le Louvre Lens devait favoriser les orgueils locaux, et ce dans une ville toujours aussi déshéritée (1), les autres publics restaient en rade. Au fil des ans, il y a eu toujours moins de TGV pour faire ici une halte bienvenue. Le bus reliant la gare au musée a quasi disparu, alors que la marche à travers les bois prend une bonne demi-heure. Peu de touristes par conséquent, alors qu’ils ont adoré à la même période aller à La Piscine de Roubaix ou au Musée de Flandre à Cassel. Et une direction soumise aux diktats parisiens, alors même que Jean-Luc Martinez chavirait à la direction du Louvre parisien. Le musée national a en plus déménagé contre l’avis de ses conservateurs ses réserves à Liévin. Tout près. Comment dans ces conditions faire autre chose que des subalternes de ses directeurs successifs Xavier Deltot et Marie Lavandier?
Du pain sur la planche…
Il faudra sans doute repenser le Louvre Lens pour en faire quelque chose d’à la fois plus populaire (au bon sens du terme) et plus autonome. Ce sera la tâche de Laurence des Cars, la nouvelle Madame Louvre, qui doit en plus résoudre les innombrables problèmes que lui a laissés en succession son prédécesseur. Le labeur sera rude, mais il peut aboutir. Après tout, depuis son ouverture en 2010, Pompidou Metz est parvenu à créer des expositions de référence (2) dans un lieu qu’il faudrait selon moi pouvoir démolir sans repartir pour autant de zéro! C’est vrai. Pompidou Metz, au moins on en parle!
(1) En sortant de la gare de Lens, le visiteur tombe sur une façade de cinéma Art déco donnant sur le vide. Plus de bâtiment derrière. Avouez que pour un accueil, c’est rude!
(2) Je pense aussi bien à «Formes simples» qu’à «1917» ou plus récemment celle autour d’Arcimboldo.
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Politique muséale – Le Louvre de Lens s’apprête à fêter ses dix ans
Ce fut un acte volontariste venu de la tête de l’Etat. Quel bilan tirer de cette expérience dans une ville déshéritée où le second souffle tarde à venir?