
Aïe, aïe, aïe… Ça va faire mal. Le Landesmuseum de Zurich, qui avait inauguré en 2016 sa nouvelle aile en forme de bunker avec «Renaissance», poursuit dans cette veine en proposant depuis le 16 septembre «Barock». L’équipe aux commandes n’est plus tout à fait identique, puisque la commissaire Denise Tonella a passé depuis à la direction du musée national. L’esprit est hélas demeuré le même. C’est le grand fourre-tout, pour ne pas dire le sac-poubelle, qui se veut comme de bien entendu inclusif, transversal, antiraciste et même bon pour le climat. N’est-il pas ici question dans l’introduction de «changements climatiques» que l’on perd ensuite de vue? J’ai pourtant récemment vu au Kunsthaus de Zurich un ravissant tableau des années 1660 montrant des gens patinant, ou se promenant en traîneau, sur le lac de Zurich (1). Il est vrai que le Landesmuseum ne semble guère collaborer avec cette institution cousine se trouvant à dix minutes à pied de chez lui. Des tableaux assez médiocres ont du coup été empruntés sans souci des empreintes carbone à Amsterdam ou à La Haye. Une idée pour le moins baroque…
Un cadre inapproprié
Vous allez me poser la question. Pourquoi s’acharner encore une fois sur une manifestation du Landesmuseum, qui peut par ailleurs proposer d’absolues réussites comme sa récente exposition sur les stèles préhistoriques ou l’actuelle présentation de traîneaux, par ailleurs baroques eux aussi? Parce qu’il s’agit d’une sorte d’échec exemplaire. Il y a là les moyens financiers. Les gens ayant participé à l’élaboration et au montage final de «Barock» sont comme de coutume aussi nombreux que les sauterelles d’Egypte bibliques. Mais il y a d’abord comme entrave le cadre, pour le moins inapproprié. Auriez-vous personnellement eu l’envie d’enchâsser cet accrochage de luxe dans une aile brutaliste de béton tenant davantage de l’abri antinucléaire que du château de Versailles? Non, évidemment! Et puis il faut hélas incriminer le propos. Il se veut si complet qu’il finit par devenir pointilliste comme un tableau de Georges Seurat. Un petit mot bien senti sur un sujet, hop c’est bon, devoir accompli, et on passe à autre chose.

L’exposition démarre avec une grande maquette de la flèche en forme de rampe imaginée par Francesco Borromini pour San Ivo de la Sapienza à Rome. Il s’agissait d’inclure les Suisses dans cette affaire. L’architecte est en effet Tessinois comme nombre de ses confrères, de Carlo Maderno à cet Enrico Zuccalli tristement méconnu qui travaillait lui dans les pays germaniques (Munich en premier lieu). Le visiteur se dit que le musée tient là un vrai sujet, d’autant plus que Borromini a longtemps orné en Suisse un billet bleu de cent francs. Hélas non! Ce n’est qu’une mise en bouche. Joya Indermühle, qui chapeaute l’entreprise, a voulu opérer le grand brassage historique, religieux, économique, politique et social. Tout dans le même chaudron, qui n’a rien de magique. Et nous voilà partis pour deux siècles. L’inclusivité voulue fait curieusement démarrer l’âge baroque en 1580 pour le clore seulement en 1780. Qu’y a-t-il pourtant de commun entre le temps des guerres de Religion et l’apothéose des Lumières?

Au pas de charge, le public va donc affronter la guerre de Trente Ans, la plus meurtrière de toutes, et les batailles miniatures de Villmergen entre protestants et catholiques dans l’actuel canton d’Argovie. Il verra pousser les jardins de Versailles et l’artichaut paraître dans les assiettes aristocratiques. Ses membres les plus patients auront lu jusqu’au bout la correspondance d’un Jésuite suisse évangélisant à tour de bras en Bolivie. Les plus frivoles se seront contentés, eux, de regarder la gravure montrant le feu d’artifice tiré en 1729 pour fêter la naissance du Dauphin au château de Waldegg près de Soleure. Les femmes n’auront pas été oubliées de Sybilla Merian, partie observer fleurs et animaux exotiques au Surinam (2), à la peintresse Rachel Ruysch. Il y aura eu quelques robes à panier en brocart. Normal. La commissaire peut ainsi citer «Le pli» de Gilles Deleuze (1988). Ce motif formait pour le philosophe français le motif incarnant à lui seul le baroque. On a des lettres, ou on n’en a pas!

Evidemment, tout cela se tient comme des noix sur un bâton. Oppositions et juxtapositions ne suffisent pas à créer un véritable discours. Et puis, il y a tout de même là un net déficit d’œuvres tout simplement regardables. L’œil n’est pas nourri, même si j’ai tout de même observé un magnifique tableau d’autel du Tessinois de Rome Giovanni Serodine, le globe céleste créé en 1594 par le Saint-Gallois Jost Bürgi pour un landgrave de Hesse-Cassel ou une monstrance née à Augsbourg autour de 1775. Un ruissellement de pierres semi-précieuses et de verroteries, que cette dernière! Les Folies-Bergère, version clergé catholique. Je signalerai aussi l’étonnante maquette géante de l’église de Saint-Gall, refaite en rococo comme tout le reste de l’abbaye au XVIIIe siècle. Ou encore quelques beaux coquillages exotiques montés en argent ou en vermeil à la fin de la Renaissance. Il ne s’en est pas fabriqué que pour les électeurs de Saxe dont je vous parlais l’autre jour pour la mauvaise exposition du Musée du Luxembourg parisien sur Dresde. Les corporations alémaniques en commandaient aussi.

Et autrement? Eh bien pas grand-chose! Mais le pire nous est tout de même épargné. J’ai eu l’impression à un certain moment que nous aurions droit aux couches-culottes de Louis XIV posées négligemment à côté d’un Rembrandt. Le grand choc. L’opposition sémantique. Le «high» et le «low». Le jumelage signifiant. La dramaturgie de l’exposition s’est arrêtée avant. J’espère au moins que ce n’est pas par manque de moyens financiers.
(1) Le XVIIe siècle correspond au pire du «petit âge glaciaire».
(2) Comme Sybilla est une femme, elle reste dénuée de vision colonialiste.
Pratique
«Barock», Landesmuseum, 2, Museumstrasse, Zurich, jusqu’au 15 janvier. Tél. 044 218 65 11, site www.landesmuseum.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h. Le jeudi jusqu’à 19h.
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Exposition à Zurich – Le Landesmuseum s’égare dans le «Barock»
Le musée national propose un énorme fourre-tout, dont le propos se veut transversal et inclusif. Le visiteur passe sans arrêt d’un sujet à un autre.