
Waouh! C’est la grande secousse et le petit frisson. Pour une fois, le Landesmuseum de Zurich, qui fait souvent si mal les choses, a réussi son pari. Il n’y a que le titre pour rester franchement tartignolle. «Hommes, Sculptés dans la pierre», qu’est-ce que cela veut dire au juste? Rien. La chose pourrait correspondre à la présentation de n’importe quelles sculptures, des frises du Parthénon à la statue du général Guisan (1). La chose induit en plus un malentendu. S’il y a bien dans le musée fédéral des femmes, reconnaissables à leurs seins du genre hollywoodien, rien ne prouve que les autres personnes figurées soient des humains. Un cartel pose du reste gravement la question. Ne s’agirait-il pas plutôt de divinités?
Une culture alpine
Alors de quoi parle-t-on dans le nouveau bâtiment en forme de bunker érigé par les architectes Christ et Gantenbein? De stèles préhistoriques taillées, et surtout gravées. Ces expressions primitives ont été conçues et réalisées entre 4000 avant Jésus-Christ et le milieu du premier millénaire précédant notre ère. Elles se retrouvent non seulement sur l’arc alpin, qui semble jouir en ce temps-là d’une culture commune, mais en Espagne, en France, en Allemagne et jusque dans l’Ukraine actuelle. Exhumées au fil du temps par des archéologues, elles ont depuis longtemps cessé de rester rares. On en compte plus de mille exemplaires, répartis par les spécialistes en quatorze catégories. Le pourtour de la mer Noire avec 359 spécimens et la France, qui en compte aujourd’hui 257, viennent en tête. Mais la Suisse ne se défend pas si mal, d’autant plus que des découvertes sont en cours. En 2019, Sion, en Valais, a révélé une nouvelle suite de stèles sur le site de Don Bosco. Un superbe complément à celles exhumées au Petit Chasseur entre 1961 et 1989. Plusieurs chefs-d’œuvre Petit Chasseur figurent du reste au Landesmuseum.

La vision de départ donne un choc. Sur l’escalier aussi monumental que raté des duettistes Christ & Gantenbein s’avance une sorte de promontoire s’élevant au-dessus des marches. Sur un podium très haute couture, où l’on s’attendrait à voir défiler Naomi Campbell ou Claudia Schiffer, se trouvent quelques stèles bien éclairées, au format de menhirs. Elles reposent sur du gravier, histoire de faire vrai. Il y a là des pièces venant de Suisse, mais aussi d’Italie du Nord ou de Sardaigne. Les sites de Sion et d’Aoste cousinent du reste étroitement. Puis viennent des œuvres (le mot sonne juste, il y a en elles des intentions) arrivées de France ou d’Allemagne. Les cartels trilingues allemand-français-anglais en détaillent les caractéristiques. Un support virtuel permet d’en apprendre davantage. Beaucoup de stèles ont été gravées de poignards. Certaines sont même en forme d’armes. Les gens de la préhistoire ne se montraient pas plus pacifiques que nous (2). D’autres entailles pratiquées dans diverses pierres locales (granit, calcaire, schiste…) simulent des vêtements. Il y avait quand même des moments plus calmes.
Un culte pouvant durer cinquante générations
L’historique de ces pierres dressées semble toujours le même. Le monument, au sens propre (lié par conséquent à la mémoire), est conçu pour un membre phare de la tribu. Un mort. Les populations tendent alors à se sédentariser. L’agriculture et l’élevage permettent de premières accumulations de biens, dont s’accaparent certaines personnes. C’est le début des inégalités. Il faut du temps pour élaborer une stèle, ce qui suppose des individus ne faisant que cela. Ils ont besoin, d’après les calculs des archéologues, d’environ 500 heures par exemplaire avec l’outillage de l’époque. Le résultat se voit ensuite offert à la dévotion de ce qui ne constitue pas encore des foules. La population humaine reste clairsemée vers 4000 ou 2000 avant Jésus-Christ, alors que se construisent un peu plus loin les Pyramides. Ce culte dure tant que la tribu reste au «top», mais la chose peut durer apparemment un bon millénaire. Autrement dit cinquante générations.

Que se passe-t-il ensuite? Eh bien une autre tribu occupe l’espace. Les stèles se voient abattues, puis volontairement brisées. Des fragments se retrouvent utilisés afin de créer de nouvelles tombes. Le site change d’affectation, puis le cycle recommence. Viennent enfin l’enfouissement définitif et l’oubli. Vingt-cinq bons siècles de sommeil, avant qu’un chantier immobilier amène des fouilles de sauvetage. On est devenu très sensible à ces premières traces humaines de nos jours. M’est cependant avis qu’il y a sans doute eu avant, surtout en Valais ou dans le sud de la France, bien des destructions pour ne pas ralentir des chantiers juteux pour les promoteurs immobiliers.
Une qualité esthétique moderne
Devenues des icônes du passé, les stèles nous interrogent aujourd’hui sur les origines. Elles émeuvent dans la manière où il est permis de se retrouver en elles. Le public leur découvre aussi des qualités esthétiques qui échappaient aux hommes du XIXe siècle. On imagine tout à fait quelques Soulages bien noirs ou un Rothko nuageux entre deux vestiges préhistoriques débarqués de Rodez, de Toulouse ou du Trentin (dont certains, trop lourds ou trop précieux, sont des fac-similés). Ce n’est bien sûr pas le cas à Zurich, comme à Beauboug qui montrait en 2019 «Préhistoire, Une énigme moderne». Plus factuel, le musée alémanique a en effet préféré présenter d’humbles artefacts de bois plurimillénaires, comme il s’en découvre beaucoup, ou quelques bijoux. Une petite question me tarabuste à ce propos. L’exposition se termine avec le grand bol en or (vers 1100 avant Jésus-Christ) trouvé à Altstetten, en plein Zurich. Une merveille technique ponctuée de corps célestes et d’animaux. Or j’ai revu la même coupe un étage plus bas dans la section préhistorique du Landesmuseum. Alors, laquelle des deux est la vraie?
(1) Le chef de l’armée suisse entre 1939 et 1945. Sa statue équestre, bien mauvaise, se trouve à Ouchy.
(2) Dans une vitrine il y a du reste un crâne troué et un sternum très abîmé!
Pratique
«Hommes, Sculptés dans la pierre», Landesmuseum, 2, Museumstrasse, Zurich, jusqu’au 16 janvier. Tél. 044 218 65 11, site www.landesmuseum.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le jeudi jusqu’à 19h. Ah, un dernier ajout! L’exposition a été réalisée par Jacqueline Perifanakis et Luca Tori.
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Exposition d’archéologie à Zurich – Le Landesmuseum révèle les stèles gravées de la préhistoire
Elles viennent de France, d’Allemagne, d’Italie mais aussi de Suisse. Sion, en Valais, a permis la découverte de chefs-d’œuvre vieux de cinq mille ans.