
Les jeux sont faits. La boucle est bouclée. L’oméga a rejoint l’alpha. En 1998, Christoph Vögele commençait son règne au Kunstmuseum de Soleure avec une exposition intitulée «Die Schärfe der Unschärfe», autrement dit «l’acuité du flou». En 2022, le directeur prend sa retraite en présentant comme dernier accrochage «Tiefenschärfe, zwischen Lust, List und Schrecken», soit «La profondeur de champ entre le désir, la ruse et la peur». Des titres plutôt abstraits, me direz-vous. Je suis bien d’accord avec vous. Mais il suffit de lire les feuilles de salles pour réaliser qu’on navigue ici dans les plus hautes sphères intellectuelles.
Un brassage d’artistes
Répartie sur les sept grandes salles du rez-de-chaussée, que j’ai connues il y a bien longtemps sous forme de musée d’histoire naturelle, l’exposition brasse un certain nombre de plasticiens. «Brasse» est bien le mot qui convient. Leurs œuvres s’entremêlent. Tel ou tel nom peut revenir dans un autre contexte. La chose possède le mérite de conférer de l’unité à un ensemble qui eut autrement pu sembler disparate. Le fil conducteur, qui tourne autour de l’illusion d’optique et du trompe-l’œil, demeure en effet ténu. Le visiteur ne saisit pas toujours d’emblée le lien unissant des classiques comme Félix Vallotton et Niklaus Stöcklin à des artistes contemporains. Ni ce qui lie entre eux des photographes plutôt traditionnels, dont les vétérans Hans Staub ou Jakob Tuggener, et des plasticiens actuels utilisant le médium. Je citerai le Genevois d’adoption Bernard Voïta, ce dernier étant présent aux cimaises par de remarquables jeux optiques. Alors, le fait de les voir revenir une seconde fois a quelque chose de rassurant. Tout cela a bien été pensé.

Adhérer à «Tiefenschärfe» sur le plan visuel reste sans problème. C’est une exposition bien faite et adroitement mise en scène en dépit de moyens financier que l’on devine modestes. J’ai été particulièrement frappé par la chambre où Frederike Feldmann semble avoir collé et arraché des textes écrits en rouge, qui deviennent du coup illisibles. Une parfaite illusion. Tout est peint par l’artiste directement sur la paroi, avec de fausses ombres donnant l’idée de couches superposées. L’œuvre remplit admirablement le contrat proposé au public par le titre choisi par Christoph Vögele. J’ai aimé cela d’instinct. Un simple déclic. J’avoue avoir même discrètement promené mon doigt sur le mur quand la gardienne n’était pas là. Tel saint Thomas face à la plaie du Christ, je voulais toucher pour vraiment y croire.

Où j’ai éprouvé davantage de mal, c’est à suivre les propos hyper intellectuels des feuilles de salle. Un gargarisme de mots et de concepts. Par rapport à l’exposition de 1998, qui serait restée de type phénoménologique, nous serions ici dans le philosophique et l’immanence artistique. Les œuvres anciennes présentées sont en réalité des positions tirées de l’histoire de l’art. Les images d’Annette Kelm ne demeurent plus des photos mais des recherches photographiques. Et ainsi de suite… Moi je veux bien. Mais il me semble tout de même qu’un texte d’accompagnement se devrait d’éclaircir le propos au lieu de l’assombrir. Que nous soyons dans le flou avec «die Schärfe», d’accord. Mais qu’à l’heure où l’on parle tant d’intégration des publics on les exclue à force de verbiage pour initiés me dépasse un peu. Comment se fait-il que tant de gens de l’art contemporain puissent se prétendre inclusif, alors qu’ils cultivent avec une telle ardeur l’esprit de chapelle?
Cela dit, je le répète, il y a à part cela des choses très bien en ce moment au Kunstmuseum de Soleure.
Pratique
«Tiefenschärfe, zwischen Lust, List und Schrecken», Kunstmuseum, 30, Werkhofstrasse, Soleure, jusqu’au 24 avril. Tél. 032 624 40 00, site www.kunstmuseum-so.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 17h.
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Exposition à Soleure – Le Kunstmuseum joue avec les effets de profondeur
Christoph Vögele tire sa révérence comme directeur du Kunstmuseum avec une présentation très intellectuelle unissant les modernes et les contemporains.