
Cela fait presque quarante ans… En 1984, le Kunsthaus de Zurich consacrait une exposition à Federico Fellini (1920-1993), qui était alors chaud et vivant. Ce choix pouvait sembler curieux pour un musée en principe voué aux beaux-arts. Mais le cinéaste, qui venait de triompher sur le plan international avec «E la nave va», dessinait énormément. Et c’est à Zurich que ses livres de croquis, rageusement coloriés au feutre, paraissaient chez Diogenes. Une maison d’édition fondée en 1952 par Daniel Keel et son épouse, aujourd’hui décédés. Il s’est ainsi tissé des liens solides entre un cinéaste souvent contraint au chômage forcé et les gens qui l’avaient fait connaître comme plasticien. Les Keel avaient donné une autre dimension à son œuvre. Une bonne partie de Fellini existait aussi (ou déjà) sur papier. Ils l’avaient fait savoir au monde entier.
Une seule collection
Le Kunsthaus propose aujourd’hui une nouvelle rétrospective Fellini, alors que ce dernier est mort il y a maintenant presque trente ans. Autant dire que l’homme devient aujourd’hui étranger aux nouvelles générations. Demeurent le nom, plus quelques images souvent reproduites. Il s’agit de raviver la flamme, même si l’Italien n’est tout de même pas un soldat inconnu. D’où cette présentation fleuve, qui regroupe deux cent cinquante dessins originaux et autant de photos de plateau. L’ensemble se voit par ailleurs agrémenté de quelques costumes, mais peu, et des affiches, souvent germanophones. Le cinéma lui-même ne se voit pas représenté par des extraits bien montés, mais par les lancements (ou «trailers» en bon français). On avait vu mieux lors de l’exposition Fellini montée en 2009 par Sam Stourdzé au Jeu de Paume parisien, puis reprise par le même au moment de son arrivée à la tête de l’Elysée lausannois en 2011.

D’où proviennent cette fois les œuvres? De la collection de Philipp et David Keel, les héritiers de Daniel, le premier cité ayant repris la puissante maison Diogenes (1). Cet énorme ensemble se voit complété par quelques emprunts à la fondation Fellini existant depuis 2001 à Sion. La Cinémathèque suisse de Lausanne, qui possède des centaines de milliers, voire des millions de photos, ne s’est apparemment pas vue sollicitée. Elle aurait pourtant pu combler un certain nombre de lacunes dans cette exposition coproduite avec le Folkwang Museum d’Essen en Allemagne, où elle a déjà eu lieu. En dépit de sa surabondance, le parcours apparaît en effet lacunaire. Rien sur Fellini caricaturiste, puis scénariste dans les années 1940. Tout commence avec «Le cheik blanc» en 1952, comme si l’artiste sortait du néant. Sa période «classique», qui lui vaudra cinq oscars à Hollywood, se voit surreprésentée, à l’exception des sketches pour des longs-métrages collectifs, des téléfilms et curieusement de «Giulietta degli Spiriti». Puis, après 1983, c’est le silence. Fin du parcours. Le réalisateur allait pourtant encore tourner deux longs-métrages, mineurs il est vrai, plus quelques films publicitaires extravagants, découverts grâce à Stourdzé au Jeu de Paume…

L’exposition actuelle se révèle intéressante, mais elle garde selon moi quelque chose de paresseux. Elle sent l’effort minimum. Je veux bien admettre qu’elle ne reste que deux mois aux cimaises du Kunsthaus, où elle se retrouve dans les salles temporaires au deuxième étage du bâtiment Chipperfield. Mais il n’y a rien là qui puisse soulever l’enthousiasme des fameux «millénials» ou de ceux, encore plus jeunes, qui les suivent. Elle semble faite pour les nostalgiques comme moi, qui ont vu tous les films à partir de «Otto e mezzo» en 1963 au moment de leur sortie tonitruante en salles. Je reconnais les scènes. Je sais encore le nom des interprètes, même si Fellini a souvent utilisé des inconnus que l’on n’a pas (ou que peu) revus ensuite. J’ai encore les oreilles bourdonnantes de la musique de Nino Rota, dont la mort prématurée en 1979 a privé le cinéaste d’une sorte d’alter ego sonore.

Le décor n’arrange rien. Il eut fallu un peu de folie et d’imagination. Deux qualités développées au plus haut point chez Fellini. La présentation d’images, souvent petites, devient vite monotone. A moins de se passionner pour le sujet bien sûr, ce qui suppose de bien le connaître. Les cimaises d’un rose évoquant les sous-vêtements de vieilles dames ne me semblent pas très heureuses non plus. Elles lénifient. On reste loin du véritable électrochoc qu’avait été, au moment de sa distribution, «La dolce vita» en 1960. Le film sentait soi-disant le soufre. Le Vatican s’était en tout cas ému. Tout est ici devenu lisse. Tout est ici devenu sage. Je ne voudrais pas avoir l’air de m’acharner sur une commissaire du Kunsthaus après avoir dit tout le mal que je pensais de sa récente exposition «Take Care». Mais Cathérine Hug a de nouveau raté son coup en reprenant l’accrochage d’Essen. Elle a réussi à rendre Fellini terne. Avouez qu’il fallait le faire!
(1) Diogenes a vendu, en environ 8000 titres, plus de 300 millions d’exemplaires depuis les années 1950.

Pratique
«Federico Fellini, Von der Zeichnung zum Film», Kunsthaus, 1, Heimplatz, Zurich, jusqu’au 14 août. Tél. 044 253 84 84, site www.kunsthaus.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le mercredi et le jeudi jusqu’à 20h.

Le Kunsthaus se penche sur les carnets de dessins de Rudolf Koller, le créateur de l’iconique tableau «La diligence du Gotthard» en 1873
En 1905 mourait Rudolf Koller. L’homme avait 77 ans. Il aurait atteint le statut de gloire nationale s’il n’existait pas en Suisse la barrière des langues, et donc des cultures. L’homme avait cependant produit en 1873 l’icône des icônes avec «La diligence du Gotthard». Un tableau déjà nostalgique au moment de sa création. Il avait été commandé par les pontes du Réseau Nord-Est des chemins de fer pour être offert au conseiller fédéral Alfred Escher (1). Le train venait de remplacer l’audacieuse chaise de poste caracolant sur une route en pente. Cela dit, je soupçonne Rudolf Koller d’en avoir un peu remis sur le pittoresque. On se croirait dans un western de John Ford au moment de l’attaque des Sioux. Il ne manque plus que John Wayne aux commandes…
Un achat massif en 1905
Au moment du décès de l’artiste, la toile offerte par Escher ne se trouvait pas encore au Kunsthaus de Zurich, alors en pleine construction. Cette œuvre, qui surprend par sa taille plutôt modeste, en deviendra vite la vedette. Elle le restera de manière durable. En 1966, le directeur de l’institution René Wehrli assurait qu’il s’agissait de la carte postale la plus vendue. En 2011 encore, la «Diligence» figurait sur la couverture du livre que le musée consacrait à ses collections. Il n’en irait sans doute aujourd’hui plus de même. Les goûts changent en ce moment rapidement. Hodler ou Giacometti remplacent désormais Koller. Mais je signale tout de même qu’une petite esquisse de la «Diligence» s’est vendue chez… Koller en juin 2016 pour 550 000 francs.

Hans Spörry, l’exécuteur testamentaire de Rudolf Koller, avait imaginé en 1905 une exposition-vente en hommage au disparu. Il y avait là des toiles, mais surtout énormément de dessins. L’artiste n’en avait jamais produit de spectaculaires, ouvertement destinés à la vente. Ce n’était pas son genre. Il s’agissait avant tout de croquis, restés dans des carnets de toutes tailles. On comptait quatre-vingt-cinq de ces derniers. Il en a été acheté pour le futur Kunsthaus soixante-sept, dont certains bien dodus et bien épais. Ils comptent ainsi au total 3500 pages, dont certaines utilisées des deux côtés. Quelques centaines d’entre elles se sont vues détachées à des fins d’expositions ultérieures. Mais les autres sont jusqu’ici demeurées en place.

C’est à l’occasion de leur restauration et de leur numérisation, offertes au Kunsthaus par la famille Fehlmann, que le musée zurichois propose au rez-de-chaussée de son ancien bâtiment une petite exposition présentée sur des fonds de deux verts un peu discordants. Il a bien entendu fallu opérer un choix. Des esquisses peintes rythment l’accrochage. Le tableau lui-même est resté un étage plus haut. Le visiteur peut néanmoins suivre le processus qui fait passer l’artiste de son croquis sur le vif à la composition peinte qui tient de l’arrangement. Les animaux jouent bien sûr ici un rôle essentiel. Koller aurait presque pu demander un copyright sur la vache. Mais on sait à quel point celle-ci a pu paraître identitaire en Suisse. Un peu comme le renne en Laponie.

L’exposition apparaît bien faite. Ni trop, ni trop peu. Le Kunsthaus revisite une nouvelle fois son fonds. Je doute cependant qu’il propose ces prochains temps une grande rétrospective Rudolf Koller. Contrairement à Arnold Böcklin ou même à Robert Zünd, l’homme se situe aujourd’hui au creux de la vague. Mais en histoire de l’art, rien n’est jamais dit de manière définitive…
(1) «Baron» du chemin de fer, l’homme reste aussi célèbre par sa dureté avec sa fille et héritière Lydia. Celle-ci finira par se suicider à Champel en créant avec son immense fortune la Fondation Gottfried Keller. Sa tombe se trouve à l’entrée du cimetière des Rois à Genève.
Pratique
«Rudolf Koller, Die Skizzenbücher», Kunsthaus, 1 Heimplatz, Zurich, jusqu’au 14 août. Tél. 044 253 84 84, site www.kunsthaus.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le mercredi et le jeudi jusqu’à 20h.
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Expositions à Zurich – Le Kunsthaus revisite le maestro Fellini
Le cinéaste se retrouve aux murs avec 250 dessins et 250 photos. L’exposition apparaît paresseuse. Le cinéaste italien aurait mérité mieux.