
Les migrants remontent du Sud au Nord. Il y a aujourd’hui davantage de richesses là où il fait froid. Traditionnellement, les voyageurs descendent eux du Nord au Sud. On parle aujourd’hui de «tourisme de masse». Il y avait jadis de riches étrangers solitaires, Anglais, Russes ou Allemands. Ces derniers éprouvaient, sur les traces de Goethe, le fameux «Drang nach Süden». Ils voulaient voir «les pays où fleurit le citronnier» en un temps où l’on ne mettait pas du citron d’importation à tort et à travers dans son assiette nordique pour en relever la fadeur.
«Nord-Süd»
«Italia, Zwischen Sehnsucht und Massentourismus». Tel est le nom de la nouvelle exposition du Kunst Museum de Winterthour (KMW), montée par Andrea Lutz. La responsable des collections des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles a pour l’occasion généreusement débordé sur les époques postérieures en partant des collections du KMW. Un véritable bain de jouvence. L’accrochage de base se voit en effet complété non seulement par une sélection de miniatures issues de la Stiftung Kern («Di Passagio») qu’abrite le musée, mais grâce à un étage entier d’art allemand et italien de la seconde moitié du XXe siècle. Une centaine d’œuvres de la Stiftung Reinhart, je vous l’ai déjà dit, sont parties pour plusieurs mois à Padoue. Cela créait un grand vide. Dire qu’il se voit comblé par «Nord-Süd», également d’Andrea Lutz, me semblerait cependant exagéré. Comme l’ancien directeur du Kunst Museum Dieter Schwarz développait un faible pour le «minimal art» et l’«arte povera», les salles du premier semblent en effet désertifiées. Giulio Paolini, Marisa Merz, Luciano Fabro et Jannis Kounnelis d’un côté. Pia Fries, Thomas Schütte ou Isa Genzken de l’autre. Voilà qui sent un peu l’os à ronger…

Mais revenons à «Italia», qui garnit l’étage pour les expositions temporaires créé sous le toit il y a une quarantaine d’années. L’idée de la commissaire était de montrer à quel point la Péninsule a tenu le rôle d’aspirateur mental durant des siècles. Un artiste se devait de traverser les Alpes pour terminer sa formation à Rome, Florence ou Venise. Un noble y accomplissait dans sa jeunesse un «Grand Tour» pouvant durer des années. Tout s’est certes démocratisé au XIXe siècle, mais les déplacements demeuraient lents et compliqués. Le fascisme a ralenti les voyages, sans pourtant les interrompre. C’est depuis les années 1960 seulement que des hordes, plus pacifiques que celles d’Attila mais tout aussi destructrices, se sont abattues sur le «Bel Paese». Toujours davantage de monde, jusqu’à en créer des haut-le-cœur en Toscane ou en Vénétie.

C’est cette histoire que voudrait raconter Andrea Lutz, dans un espace tout de même limité. L’historienne de l’art part ainsi, en puisant dans le fonds de l’institution, des gravures de Claude Lorrain ou des tableaux de Jan Both (nous sommes alors au XVIIe siècle) pour aboutir aux images peu flatteuses de ce qu’est devenue leur patrie données par les Italiens Monica Bonvicini ou Luigi Ghiri. Entre les deux, il y aura eu les toiles brossées à l’époque romantique par le Chaux-de-Fonnier Léopold Robert, alors connu dans toute l’Europe, ou l’Allemand Carl Blechen, ce dernier représentant le paysage. Andrea Lutz a voulu ainsi distinguer le réalisme de l’idéalisme. Il y a d’une part la représentation fidèle d’une campagne qui passait alors pour la plus belle du monde (ça a bien changé depuis…). Et de l’autre de pures vues de l’esprit. La «Villa au bord de la mer» (1878) du Bâlois Arnold Böcklin, dont le Kunst Museum possède la plus belle des multiples versions, n’a ainsi jamais existé que dans l’imagination exaltée de son auteur.

Evidemment, tout mettre ensemble tenait du tour de force. Le tapis rond de Maurizio Cattelan, reproduisant l’étiquette d’un petit fromage Bel Paese, se marie par définition mal avec les images admiratives que Hans Thomas a données des environs de Naples. Luciano Fabro jure terriblement à côté de l’aqueduc mis en vedette par un Johann Martin von Rodde de 18 ans en 1796. La carte du monde brodée d’Alighiero Boetti a peu à dire aux deux portraits mondains exécutés vers 1800 par une Angelica Kaufmann (qui était de Coire) au faîte de sa gloire. Il s’agissait sans doute de créer des chocs visuels. Mais ces derniers deviennent hélas vite des incohérences. L’audace paie de plus en plus mal dans la mesure où celle-ci devient une habitude. Il n’y a plus que des œuvres ballottées comme des colis, avec lesquelles on aura joué de manière un peu infantile.

D’une certaine manière, l’étage «Nord-Süd» apparaît du coup plus réussi. Au moins, il joue franc jeu. Aujourd’hui remplacé par Konrad Bitterli, qui n’a pas fait bouger d’un iota la direction artistique prise naguère par le Kunst Museum, Dieter Schwarz avait créé un ensemble très homogène avec ses choix et ses refus. Il en résultait donc de quoi créer une double exposition se tenant solidement debout, avec de grandes pièces acquises au moment où elles ne coûtaient pas encore trop cher. Après tout pourquoi pas le grand drapeau de Giulio Paolini ou les blocs de béton d’Isa Genzken? Ils forment pour le moins un violent contraste avec les miniatures italiennes (dont quatre de la Vénitienne Rosalba Carriera) montrées au rez-de-chaussée. Je vois finalement là du positif. Du rassurant. Cela prouve au moins qu’en matière d’art, le Kunst Museum sait oser l’œcuménisme.
Pratique
«Italia, Zwischen Sehnsucht und Massentourismus», Kunst Museum am Stadtgarten, 6, Stadthausstrasse, Winterthour, jusqu’au 11 septembre (jusqu’en février 2023 pour «Di Passagio»). Tél 052 267 51 72, site www.kmw.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le jeudi jusqu’à 20h.

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Triple exposition – Le Kunst Museum de Winterthour part pour l’«Italia»
L’Italie classique se voit opposée à un art contemporain transalpin en crise. C’est moyennement réussi en dépit des grandes ambitions manifestées.