
A ce niveau-là, ce n’est plus du courage. Il s’agit déjà de témérité. Je veux bien que tout le monde éprouve en ce moment le désir d’avoir «les pieds dans l’eau». Eau fraîche s’entend. Mais de là à aller voir au Jeu de Paume parisien une exposition consacrée à Jean Painlevé, il y a un sérieux pas à franchir. L’homme me semble aujourd’hui retombé dans l’anonymat. Oh, il n’a jamais été bien célèbre, à part dans les milieux scientifiques! Mais au temps désormais lointain du surréalisme, le cinéaste séduisait par l’étrangeté de ses films. Pensez! Les spectateurs voyaient en gros plans des pieuvres, des hippocampes ou des vampires. Vampires animaux, bien sûr… Mais ils suffisaient à provoquer de délicieux frissons.
«Les courtes bandes de jean Painlevé trouvent leur résonance actuelle dans la manière dont elles immergent le spectateur dans un mélange mental indéfini.»
Né en 1902, disparu en 1989, Painlevé est longtemps resté outre Jura le spécialiste du court-métrage scientifique. La notoriété lui est venue dès la fin des années 1920. Ce fils de politicien haut placé (Paul Painlevé a eu droit à des funérailles nationales) savait à la fois intriguer et communiquer. Comme le dit Pia Viewing, commissaire de la rétrospective, ses courtes bandes «trouvent leur résonance actuelle dans la manière dont elles immergent le spectateur dans un mélange mental indéfini.» Le public se retrouve plongé dans un aquarium sans trop savoir de quelle taille sont les bestioles qu’on lui promène sous le nez. Le réalisateur ne l’assomme pas de ses propos didactiques. Il laisse jouer à fond la fascination visuelle. Le monde animal, surtout marin, séduit par des danses qui semblaient alors nouvelles.

Au Jeu de Paume, trois genres cohabitent. Il y a bien sûr, projetés sur des écrans, des films pour la plupart en noir et blanc. Mais les murs proposent aussi des photos où les animaux se retrouvent en général fortement agrandis. Les vitrines contiennent par ailleurs toute une littérature plus ou moins savante. Jean Painlevé a rédigé de très nombreux articles de vulgarisation. Ce n’était pas un homme de chapelle, même s’il appartenait de loin par ses amis Eli Lotar, Pierre Prévert, Jean Vigo ou Alexander Calder à celle des surréalistes. Painlevé se révélait par ailleurs drôle et charmeur. Je me souviens de l’avoir rencontré il y a bien longtemps à Thonon, dont la Maison de la Culture proposait à l’époque une programmation pour le moins pointue. Painlevé était encore actif dans les années 1970, travaillant en équipe avec sa compagne Geneviève Hamon. Mais on en parlait déjà comme le représentant d’un autre temps.

J’ignore comment est née l’actuelle rétrospective, par ailleurs fort bien faite grâce à la participation de la Fondation Jean Painlevé. La commissaire l’a construite autour de quatre grands thèmes. Il y a d’abord «le littoral», vu comme un champ d’exploration. Puis vient «l’objectivité scientifique», vite contredite par un «surréalisme politique», né en partie du hasard. Un homard ou une méduse ne se dirige pas comme un acteur et une actrice. Ils improvisent. Tout peut donc se conclure grâce à des «dynamiques étonnantes». Le mouvement spécifique au cinéma confère selon Painlevé «une grâce et une puissance étonnante aux formes.» La nature devrait être aussi là pour nous faire rêver. Son caractère fantastique confine au merveilleux. N’avez-vous donc jamais été ébloui par la vision d’un hippocampe?
P.S. L’exposition dont je vous parle aurait eu sa place aux «Rencontres» d’Arles, dont je vous parlais hier.
Pratique
«Jean Painlevé, Les pieds dans l’eau», Jeu de Paume, jardin des Tuileries, Paris, jusqu’au 18 septembre. Tél. 00331 47 03 12 50, site www.jeudepaume.org Ouvert du mardi au dimanche de 12h à 20h, le mardi jusqu’à 21h, le week-end de 11h à 20h. Pas besoin de réserver.

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Exposition à Paris – Le Jeu de Paume exhume les animaux de Painlevé
Jean Painlevé a créé dans les années 1920 le cinéma scientifique en montrant hippocampes ou vampires. Il était proche des surréalistes.