
«La perfection n’est pas de ce monde», disait doctement ma grand’mère. Le Musée Jenisch de Vevey l’a pourtant découverte en la personne d’Edmond Bourqui. Ouverte dès demain 3 février, l’exposition s’intitule «Un collectionneur idéal». Le compliment salue d’un geste large l’amateur qui a enrichi le Cabinet des estampes par de multiples donations contemporaines. Quelque 300 gravures sont venues s’ajouter à la part de l’institution relevant directement de la Ville. On sait à quel point cette institution cantonale se révèle compliquée. Elle fait penser aux poupées russes, même si le pays d’origine de ces dernières se retrouve aujourd’hui à juste titre diabolisé. Il y a la fondation William Cuendet, le Musée Alexis-Forel de Morges, l’Atelier de Saint-Prex et j’en passe. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Heureusement qu’Anne Douglazet, qui n’a rien d’une sauvage féline, débrouille en ce moment ses fils.
«J’ai développé ma collection en parallèle de mon métier d’enseignant, en fonction de mon petit salaire de l’époque.»
Le prière d’insérer concernant Edmond Bourqui est si laudateur qu’il peut sembler nécrologique. Il n’en est Dieu merci rien. L’homme apparaît chaud et vivant. Il vient du reste de recevoir les compliments d’une Municipalité que l’on sait pour le moins problématique. L’amateur est venu présenter à la presse avec son épouse les quatre-vingts pièces tirées de son fonds. Un choix qu’il a fallu pratiquer à la fois par élections, affinités et éliminations. L’ensemble apparaît au final divers et cohérent, comme toujours quand une seule personne a décidé les choses au départ. Le collectionneur a grandi dans un milieu modeste, mais instruit. Le père s’intéressait aux timbres-poste, ce qui constitue un début comme un autre. Il y avait quelques tableaux aux murs du logement familial. L’adolescent a ensuite fait son Ecole Normale pour devenir enseignant. «J’ai développé ma collection en parallèle de mon métier, en fonction de mon petit salaire de l’époque.»

C’est précisément la modicité des moyens qui a poussé le débutant vers les multiples. Avant tout l’estampe, mais le Musée Jenisch propose en parallèle un collage et une sculpture. Les rencontres, dont celle de Francis Jeunet, ont joué. Beaucoup de collectionneurs gardent encore aujourd’hui l’impression d’avancer dans le brouillard en solitaires. Il y a aussi eu des compagnonnages avec des galeristes, dont François Ditesheim et Numaga dans le canton de Neuchâtel. Des amitiés se sont parallèlement nouées. Mais pas de manière récurrente avec des plasticiens, pourtant contemporains et pour la plupart Suisses romands. «Je ne suis pas forcément proche des artistes dont j’ai collectionné les œuvres, mais j’ai dialogué avec un certain nombre d’entre eux.» On peut ainsi aussi bien citer Olivier Estoppey, star vaudoise actuelle s’il en est, que Claire Nicole, Olivier Saudan ou Gottfried Tritten. Avec Edmond Burqui, nous labourons le terreau local, même si l’homme se veut davantage un pur amateur qu’un fidèle soutien économique.

Le «collectionneur parfait» achète ainsi depuis plus de cinquante ans. La gravure, même si la chose tend aujourd’hui à changer, reste de taille modeste. Elle peut s’entasser dans des boîtes comme la photographie ou le dessin. Il n’en reste pans moins que le destin d’un ensemble lentement constitué finit par se poser. Edmond Burqui s’est très tôt posé la question du futur. Son ami Francis Jeunet se voulait proche du Musée des beaux-arts de Neuchâtel, à qui il a fini par donner ses 600 estampes. Pourquoi ne pas approcher le Jenisch de Vevey, dont le conservateur se nommait alors Bernard Blatter? Un monsieur charmant, aujourd’hui décédé, qui avait de l’art une haute idée dans le genre sérieux. Il présentait à son public des peintres comme Zoran Music, Balthus ou Miklos Bokor. Le cabinet était dirigé à cette époque par Nicole Minder, que j’ai plus tard connue directrice du Château de Prangins, puis vigoureuse cheffe de la culture vaudoise. «Je l’ai reçue chez moi en 2005 et je lui ai monté toutes mes gravures en lui proposant de prendre ce qu’elle voulait.»

Le Jenisch, tout comme le Cabinet cantonal qui s’y voit abrité, ont par la suite souvent changé de mains. La chose n’a pas altéré le rapport de confiance établi. Les gravures ont été conservées par Lauren Laz, aujourd’hui en Avignon, puis Laurence Schmidlin, récemment arrivée à Sion, et enfin Stéphanie Guex. Le lien solidement établi et entretenu avait «requinqué» le collectionneur, comme on dit en Pays de Vaud en buvant du petit vin blanc. «Les premiers dons ont eu lieu pour mes 60 ans. C’était une période où je n’achetais plus beaucoup. Les transferts en musée m’ont permis de libérer l’espace et de continuer à faire des emplettes. Le bonheur de la collection, c’est de pouvoir découvrir de nouvelles œuvres.» Tout nouveau, tout beau. La chose aiguise en plus l’œil, avec en l’occurrence une particularité téléologique. La finalité a en effet changé. Edmond Bourqui a consciemment passé du privé au public. «Quand j’achète une estampe, je me demande désormais si elle peut intéresser le musée.»

Bien réglé par Anne Douglazet, l’accrochage propose ainsi quelques figurations au milieu de beaucoup d’abstractions. Des noms connus, comme ceux de Claudia Comte ou d’Aurélie Nemours, cohabitent avec ceux de gens restés plus confidentiels. Je citerai François Pont ou Marie-Thérèse Vacossin parmi beaucoup d’autres. Tous appartiennent à l’univers progressivement développé par Edmond Burqui. Les cimaises grises et des murs d’un beau jaune (le Jenisch aime bien la couleur) mettent l’ensemble en valeur. Ce dernier permet aussi au Pavillon de l’estampe de sortir du cadre un peu étouffant des grands aînés locaux que sont devenus Pietro Sarto ou Jean Lecoultre. Le médium a aujourd’hui rajeuni. Notez qu’il prendra aussi un coup de vieux à la fin de l’année. Le lieu, situé au premier étage du Jenisch, présentera alors de la gravure italienne de Raphaël à Piranèse…
Pratique
«Un collectionneur idéal», Musée Jenisch, 2, avenue de la Gare, Vevey, du 3 février au 28 mai. Tél. 021 925 35 20, site www.museejenisch.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h. Le musée présente parallèlement, et en plus grand, «Revoir Valentine», à propos du cycle de Ferdinand Hodler.

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Exposition à Vevey – Le Jenisch a rencontré «Un collectionneur parfait»
Edmond Bourqui constitue pour le musée un ensemble d’estampes suisses contemporaines. Une sélection sera montrée dès le 3 février.