
Pauvre Notre-Dame de Paris! Depuis l’incendie de 2019, qui en a ravagé les toitures et fait s’écrouler la flèche dessinée au milieu du XIXe siècle par Eugène Viollet-le-Duc, la cathédrale va de projets fous en protestations véhémentes. On se souvient que le président Emmanuel Macron avait proposé dès 2019 un «geste contemporain» afin de remplacer la tourelle perdue. Il avait dû y renoncer sous le flot des protestations. Des architectes, à qui l’on n’avait rien demandé, ont donné des visions futuristes du toit à refaire. Il aurait été remplacé par tout et rien, du lieu paysager à une couverture moderne. C’est tout juste si aucun d’eux n’avait pas imaginé là une piscine. Là aussi, il a fallu accepter de revenir à l’ordre ancien. Le Diocèse a ensuite voulu ôter les vitraux du XIXe, épargnés par le feu, pour les remplacer par des créations contemporaines. Dans l’un de ses rares gestes forts, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a été obligée d’y mettre le holà. Il existe enfin des batailles, toujours en cours, autour du jardin à la pointe de l’île et du parvis, apparemment à repenser complètement (1).
Un nettoyage radical
Le gros de la bataille tourne cependant aujourd’hui autour de l’aménagement intérieur. Cette partie de l’édifice n’a pas été touchée, du moins gravement, mais le Diocèse aimerait revoir toute la question. Le père Gilles Drouin, directeur de l’Institut supérieur de liturgie de Paris, a ainsi proposé un nettoyage radical. De l’air! Finies les chaises paillées. Plutôt des bancs à roulette pour les faire disparaître au bon moment afin d’accueillir simultanément davantage de visiteurs. Une illumination variable en fonction des saisons. Des phrases lumineuses projetées sur les murs en plusieurs langues. Refaire les décors des chapelles en faisant appel à des artistes vivants. Ouvrir toute grande la porte centrale, avec une circulation inédite. «Mieux accueillir le public, qui n’est pas toujours de culture chrétienne.» Bref, plus ou moins transformer le lieu de culte en musée.

Les réactions se sont multipliées face à ce religieux très médiatique dans les milieux catholiques (on le lit ainsi souvent dans «La Croix»). J’ai à ce sujet un peu de retard, dont je vous prie de bien vouloir m’excuser. La première révolte, véhémente, a naturellement été celle de Didier Rykner dans son journal en ligne «La Tribune de l’art». Le même organe de presse a fait depuis paraître une protestation commune, signée par cent personnalités du monde des arts, des lettres et de l’architecture. «Ce que l’incendie a épargné, le Diocèse veut le détruire». Il faut donc sauver Notre-Dame, mais cette fois des propositions kitsch. «La Tribune de l’art»parle ainsi (selon moi à juste titre) à propos des inventions de Gilles Drouin de «dispositifs à la mode, qui se retrouvent dans tous les projets dits immersifs.»
Semi approbation officielle
De Londres, le «Daily Telegraph» est entré dans la danse avec une contribution de l’architecte français Maurice Culot (un nom qui ne s’invente pas!). L’homme y parlait d’une transformation des lieux à la manière d’un «Disneyland politiquement correct». Notre-Dame, nouveau parc à thème en quelque sorte. «On n’oserait jamais faire la même chose à l’abbaye de Westminster ou à Saint-Pierre de Rome.» L’article parlait haut et fort d’un projet «à la fois infantile et trivial». Ce dernier n’en a pas moins reçu à Paris une demi-approbation officielle. Selon un communiqué du fantomatique Ministère de la culture, daté du 9 décembre, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture serait globalement d’accord avec les idées du père Drouin. Mais avec, tout de même, une forte volonté de tout vouloir contrôler. Les transformations internes, évaluées à 6 millions d’euros resteraient néanmoins à la charge du Diocèse parisien, qui a pour l’instant récolté auprès des fidèles 1,3 million seulement.

Ce n’est pas tout! Il reste encore la question du parvis de l’église, qui serait lui aussi à revoir. Il y a en ce moment un concours d’architecte afin de le remodeler. Une chose qui inquiète beaucoup le médiatique Stéphane Bern, par ailleurs hostile aux idées de Gilles Drouin et signataire de la pétition. Quatre bureaux restent pour l’instant en lice. Le gagnant sera connu en juin 2022. Pour le reste, il y a déjà eu de grosses dépenses consenties. La sécurisation de l’édifice, dont on a tant parlé en 2020, aurait ainsi coûté à elle seule 150 millions, prélevés sur les 850 finalement récoltés dans l’émotion d’avril 2019.
Et la fin pour quand?
On n’évoque plus trop volontiers la fin des travaux. Officiellement, elle reste prévue pour 2024, année de Jeux olympiques à Paris. Le calendrier primitif étant loin de se voir respecté, il faudra sans doute envisager une autre date, nettement plus lointaine. Comme je vous l’ai déjà dit, aucune compétition n’était d’ailleurs prévue en ces lieux sacrés. Tout de même… A moins, évidemment, que le père Gilles Drouin développe de nouvelles perspectives dans le domaine sportif. Je ne sais pas. Mieux accueillir les athlètes, par exemple!
(1) Il y a aussi eu la polémique sur les charpentes. Afin de les reconstituer telles quelles, faut-il vraiment abattre des forêts entières de chênes plus que centenaires? Côté écologie, il y a là quelque chose mettant mal à l’aise.
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Patrimoine architectural – Le Diocèse veut changer l’intérieur de Notre-Dame
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