
J’en aurais mis ma main au feu, comme jadis Mucius Scævola devant le roi Porsenna (1). «Le dictionnaire amoureux des musées» devait exister. Un ou une habitué(e) de ces cathédrales modernes avait bien pris la plume afin de noircir les centaines de pages voulues par la collection lancée en 2000 par les éditions Plon. Eh bien non! Nul ne s’était attaqué au sujet, il faut dire devenu particulièrement vaste. Il y aurait aux dernières nouvelles (mais sont-elles au fait bonnes ou mauvaises?) 85 000 institutions de ce type en 2022…
Une communicante
C’est donc Anne-Laure Béatrix qui sort en cette fin d’année l’abécédaire en question, pourvu de vignettes dessinées par Alain Bouldouyre. Il faut que vous présente l’auteure. Anne-Laure est une Parisienne qui a passé par Science-Po (où elle enseigne aujourd’hui) avant de devenir agrégée d’histoire. Elle a travaillé dix ans au Louvre comme administratrice générale déléguée, s’occupant particulièrement de communication. Aujourd’hui sortie du grand musée pour entrer «dans le privé», la femme y a conservé des attaches, notamment avec son ancien directeur Jean-Luc Martinez. «Il fut un patron exceptionnel; il est aujourd’hui un ami exceptionnel.» Voilà qui tranche sur les avis habituellement émis tant sur l’homme que le gestionnaire! J’aurai passé une décennie à vous rapporter ses bourdes et pataquès. Anne-Laure Béatrix reste cependant respectueuse des hiérarchies. Comme du reste, d’ailleurs. Rien de contestataire dans le livre qui sent la Française bien élevée.

Il lui fallait cependant pratiquer des choix. Il y a forcément le descriptif de quelques colosses dont l’Ermitage, le Prado, le Museum Van Gogh d’Amsterdam, la Cité interdite ou le Louvre bien sûr. Il lui fallait pourtant devenir sobre avec ce dernier, dont elle reste malgré tout une publicitaire. En 2007, Pierre Rosenberg, qui a dirigé l’institution entre 1994 et 2001, en a publié un «dictionnaire amoureux». Après ces passages obligés, restaient les figures libres. Anne-Laure Béatrix a tantôt procédé à des regroupements sur les thèmes des collectionneuses ou des (ex)colonies, tantôt favorisé des ovnis. Ils vont du Thorvaldsen, temple grec érigé en plein Copenhague, aux Cloisters de New York, qui ont reconstruit des abbayes romanes sur les bords de l’Hudson. Ou encore des petits musées de Cortona, l’une des villes les moins visitées de Toscane, à celui, immense, de Solidarność à Gdańsk (2). L’auteure a visiblement beaucoup bougé, que ce soit par plaisir ou avec sa trousse de voyageuse de commerce du Louvre.
S’asseoir, les cartels et les fous
Le meilleur de l’ouvrage réside cependant dans les passages où Anne-Laure Béatrix aborde des sujets plus généraux, dont certains ne se voient (presque) jamais abordés. «S’asseoir», par exemple! Or Dieu sait si les sièges manquent dans la plupart des musées. Tous ne sont, et de loin, pas pourvus des banquettes au cuir capitonné de la National Gallery de Londres ou des «bornes», aujourd’hui en mauvais état, dessinées par Pierre Paulin pour le Louvre. L’auteure a aussi pensé aux défilés de mode, qui sévissent ici comme partout. Aux cartels expliquant les œuvres. Aux fous dangereux qui se cachent parmi les visiteurs. Au principe, aujourd’hui discuté, de l’inaliénabilité des musées européens, normalement de nature publique. Aux «gestes architecturaux», qui se terminent souvent en coûteuses catastrophes. Il y a enfin des notes personnelles. L’une est un plaidoyer «pro domo», dans la mesure où Anne-Laure est à l’origine des campagnes «Tous mécènes» du Louvre. Une autre marginale. avec tout un chapitre sur «Chez Cathy» qui servait de cantine à Lens pour les créateurs de l’antenne du Louvre.

Le résultat se révèle à la fois satisfaisant et insatisfaisant. Chacun et chacune aurait envie d’ajouter et de retrancher dans cette masse de propositions. Le problème avec l’amour, c’est qu’il demeure toujours aveugle. Je me demande du reste souvent s’il n’est pas aussi sourd. Quand on entend ce qu’on entend…
(1) Célèbre histoire, sans doute apocryphe, remontant aux tout débuts de la République romaine vers 505 av. J.C. Mucius avait brûlé dans un brasier sa main qui s’était trompée de victime à poignarder.
(2) Il y a aussi le «Musée de l’innocence» d’Istanbul.
Pratique
«Dictionnaire amoureux des musées» d’Anne-Laure Béatrix, aux Editions Plon, 600 pages. On annonce pour la suite un «Dictionnaire amoureux du mauvais goût» de Nicolas d’Estienne d’Orves, dont j’attends beaucoup.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Livre – Le «Dictionnaire amoureux des musées» est paru
Il est dû à Anne-Laure Béatrix, qui a longtemps travaillé au Louvre. L’ouvrage reste bien élevé. Il comporte cependant des entrées insolites.