
On en parlait depuis des années, mais j’avais de la peine à situer les choses. Né en 1936, le sculpteur coréen (1) Lee Ufan devait ouvrir, lui aussi, sa fondation à Arles. Les travaux avançaient, mais visiblement à petite vitesse. L’inauguration a finalement eu lieu en avril 2022, avec un an de retard. On ne sait s’il faut imputer le Covid ou l’indolence provençale. Mais peut-être les monuments historiques s’arrogeaient-ils aussi plusieurs droits de regard. Il faut dire que le choix de l’artiste est tombé en 2016 sur un vaste hôtel particulier, construit au XVIe siècle et revisité au XVIIIe. Il en subsiste avant tout la façade, d’esprit très classique. L’intérieur, qui a pourtant longtemps abrité un vaste magasin d’antiquités, demeurait du genre vide et nu. Pas de belles boiseries, ni de stucs partout, comme à la Fondation Vincent Van Gogh.

Lee Ufan est à la fois inconnu et célèbre. Normal. L’homme se veut discret. Né dans un pays lourdement occupé par le Japon impérialiste (comme une partie de la Chine du reste), il ne lui en a pas tenu rigueur. L’essentiel de sa carrière se situe dès 1956 dans un archipel où il a produit, après de longues études, de la peinture et des installations. Elles rendent aujourd’hui l’homme presque intimidant. Comment affronter sans crainte l’œuvre d’un créateur se passionnant pour la poésie, la calligraphie et qui a digéré non seulement la pensée asiatique mais encore la philosophie occidentale de Friedrich Nietzsche à Martin Heidegger (2)? Il y a fatalement des notions qui vont échapper au spectateur un brin complexé. Il va se retrouver démuni devant deux pierres brutes et un peu de métal industriel. On se souvient ainsi de l’austère passage de Lee dans le parc de Versailles en 2014, où ses créations semblaient hélas ridiculement petites par rapport à l’espace créé vers 1680 par André Le Nôtre.

Le visiteur doit d’abord subir une épreuve. Il lui faut trouver la rue de Vernon, étroite venelle prise entre deux artères déjà pas bien larges de la vieille ville. Le lieu se veut Dieu merci largement ouvert. La fondation se révèle vaste et aérée. Il faut dire qu’elle occupe 1350 mètres carrés, répartis sur trois étages et revus par Tadao Ando. Si l’architecte nippon est connu comme celui de François Pinault, il s’agit aussi du vieux complice de Lee Ufan. L’actuel lieu dédié à l’artiste est le troisième sur lequel ils collaborent après celui situé sur l’île de Naoshima au Japon (2010) et celui du Busan Museum of Art en Corée du Sud (2015). Sa patte se sent, surtout au rez-de-chaussée. L’escargot de béton par lequel commence la visite constitue une véritable signature. Le visiteur peut ensuite passer par diverses salles dédiées à des installations avant d’entrer dans le jardin minéral occupant l’ancienne cour. Tout se situe ici dans l’esprit du Mono-Ha, qui a culminé à la fin des années 1960 sous l’inspiration d’un Lee devenu journaliste et théoricien. Il s’agit d’une rencontre, en forme de réconciliation, entre la nature brute et le recyclage industriel. La pierre et le fer.

Au premier étage (le second restant apparemment à ouvrir), Lee Ufan présente sa peinture. C’est là un aspect moins connu de sa production, d’inspiration calligraphique. L’homme procède par alignements et par coulées sur un fond laissé brut. Il joue également sur l’épaisseur des traits. Ces grandes toiles sont conçues à la fois comme des œuvres d’art autonomes, d’esprit résolument contemporain, et des supports à la méditation. Elles appellent par conséquent à la réflexion et au silence. Nous sommes ici très loin de l’esprit tapageur régnant à Art/Basel, même si les œuvres de Lee valent en fait horriblement cher. Il y a peu de choses dans chaque chambre. Ces dernières contiennent de quoi s’asseoir (sièges de Constance Guisset). La station devrait en principe être longue. Regardez et réfléchissez!

Cela dit, ce ne sont pas les autres visiteurs qui vont déranger les amateurs de quêtes spirituelles. Il n’y a ici quasi-personne. L’intérêt médiatique est resté bref. Poli, mais sans plus. La suite s’annonce du coup difficile. Je vois mal comment l’accrochage peut se voir renouvelé, surtout en ce qui concerne les sculptures du bas. Tout cela doit à mon avis peser des tonnes. Que voulez-vous? Il y a des moments où l’esprit se retrouve inévitablement confronté à la matière. Le principal risque, dans cette ville d’Arles devenue toujours plus artificielle, est que la Fondation Lee Ufan, sans nul doute coûteuse à entretenir, fasse l’objet d’une visite unique. One shot! De quelle manière en raviver régulièrement l’intérêt afin de la faire vivre?
(1) Corée du Sud, bien sûr!
(2) Lee Ufan a aussi beaucoup collectionné l’art coréen ancien. Il a fait don de son ensemble au Musée Guimet de Paris en 2002, ce qui a beaucoup enrichi une institution pauvre en la matière.
Pratique
Fondation Lee Ufan, 5, rue de Vernon, Arles. Tél. 00339 78 07 83 26, site www.leeufan-arles.org Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Pas besoin de réserver. L’artiste propose aussi jusqu’au 28 septembre une exposition aux Alyscamps. Composée de treize pièces, elle s’intitule «Requiem».
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Art contemporain – Le Coréen Lee Ufan ouvre sa fondation à Arles
Le sculpteur octogénaire en arrive à son troisième musée personnel. Il apparaît un peu égaré en Provence malgré ses évidentes qualités.