
«Tout ce qui brille n’est pas or.» Effectivement! Au prix où se situe le métal jaune, il se distribue avec parcimonie. La plupart du temps, nous restons au royaume des illusions. L’adjectif «doré» et le substantif «dorure» finissent par couvrir bien des choses. Ce sont les équivalents esthétiques du «délicieux goût chocolaté» signifiant qu’il n’y a en réalité pas le moindre cacao dans un produit. Quoique… Le placage or constitue bien une pellicule très, très mince mais authentique. Pour poursuivre ma métaphore culinaire, c’est un peu là une confiture qu’on étalerait au maximum. Les visiteurs du château de Nyon en auront la confirmation en allant voir «Vergoldet/doré», que le musée vaudois a conçu en partenariat avec celui de Biesdorf, près de Berlin.
Un monde très germanique
Dans cette présentation occupant le premier étage, le public trouvera les œuvres de vingt-trois plasticiens qui ont joué avec la matière comme les mots. Ce petit monde reste pour l’essentiel germanique. Il y a donc des «Goldene Zeiten» (âges d’or) comme un «Goldener bonsai» (bonsaï doré). Bien sûr, puisque nous sommes en Allemagne et de plus dans le petit monde de l’art contemporain, bien des titres se retrouvent en anglais. Il n’est pas interdit de contester la société telle qu’elle se présente aujourd’hui et d’adopter pour ce faire la langue des vainqueurs de la mondialisation… Il faut que tout le monde puisse bien comprendre, car il y a du jus de crâne derrière toutes les œuvres. Les intellectuels du pays voisin ont facilement tendance à tout vouloir conceptualiser.

«Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.» L’expression garde tout son poids en 2022. Que dis-je? Elle découvre une force accrue. Une lourde morale se dégage en effet des pièces sélectionnées par Harald F. Theiss. Le visiteur sent bien, en parcourant les salles, que la dorure a pris avec les temps qui courent un côté peu convenable. Les gens se situant aujourd’hui dans le Bien (avec majuscule) se garderaient bien de porter ou de posséder quoi que ce soit de jaune et brillant. Le doré se voit du coup associé soit avec une épaisse vulgarité, soit avec des choses inavouables. Panos Tsagaris recouvre ainsi d’une feuille d’or les nouvelles du «New York Times» afin de les rendre illisibles. La sculpture en bronze doré d’Olivia Berckmeyer constitue un masque, ou plutôt un bâillon. Pour Philip Topolovac comme pour Julian Röder, ce sont les armes et les munitions qui brillent d’un éclat suspect. La bannière que tend au vent dans la vidéo de Johanna Reich (comme «riche») une jeune femme est en fait une couverture de survie. La grille dorée percée d’un trou de Clemens Wolf rappelle enfin les barbelés parfois coupés par les migrants. L’or prend du coup une couleur nettement politique.
«L’intérêt que les artistes contemporains continuent à porter à ce matériau auréolé de tradition est-il une tentative de le libérer de son héritage historique, de son faste ostentatoire, de son pathos pesant?»
L’exposition, qu’il était permis de supposer ludique et joyeuse, voire légèrement «bling-bling», devient du coup terriblement sérieuse. Faut-il s’en étonner? On ne rigole pas beaucoup du côté des intellectuels allemands. Ces gens se montrent plutôt du genre rabat-joie. Comme le dit en bref le communiqué de presse, «les œuvres invitent à aller voir sous les surfaces anoblies.» Avec les conséquences désastreuses que cela suppose. «Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé?» disait-on déjà quelque part (1) dans une tragédie de Jean Racine. L’or doit moins se voir montré que dénoncé. Démasqué. Débusqué. Car il subsiste un espoir. C’est celui d’une rédemption. «L’intérêt que les artistes contemporains continuent à porter à ce matériau auréolé de tradition est-il une tentative de le libérer de son héritage historique, de son faste ostentatoire, de son pathos pesant?» écrit dans sa préface Harald F. Theiss. En lisant cela, il y a des moments où je me dis (comme le veut un troisième adage) que le silence devrait rester d’or…

L’exposition accueillie au château de Nyon par son directeur Vincent Lieber était au départ prévue pour comporter des céramiques locales au milieu de ces décoctions mentales. La porcelaine ne constituait-elle pas après tout «l’or blanc» du XVIIIe siècle? C’était à mon avis une bonne idée. Le mélange aurait allégé le propos, qui reste autrement aussi sautillant qu’un camion-citerne. La chose ne s’est finalement pas faite. Le Vieux Nyon est demeuré à l’étage supérieur, où le public peut (et à mon avis doit) aller lui rendre visite. Une seule exception s’est vue concédée par Harald F. Theiss. Il s’agit d’un service marqué des initiales O R, réalisées en peinture du même métal. Une commande spéciale livrée il y a plus de deux cents ans à un ou une destinataire dont le nom reste inconnu. Qui était O R? L’idée est excellente. Il s’agit hélas là du seul sourire de «Vergoldet/doré», même si l’affiche propose une canette luisante comme un lingot. Nous sommes là pour subir un acte de contrition collectif. Après tout l’affiche en question nous avait prévenus. Il s’agit bien ici de «recontextualiser l’attrait de l’or». Vous avez dit «recontextualiser»?
(1) C’est dans «Athalie». J’ai vérifié.
Pratique
«Vergoldet/doré», château, place du Château, Nyon, jusqu’au 14 août. Tél. 022 316 42 70, site www.chateaudenyon.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h. L’exposition ira ensuite u Schloss Biesdorf, près de Berlin. Un bâtiment des années 1860 très restauré depuis la guerre.
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Exposition à Nyon – Le château parle d’or avec «Vergoldet/doré»
Coproduite avec Berlin, la manifestation entend «recontextualiser» l’attrait du métal précieux. On ne rigole pas avec les 23 artistes présents,