
Je suppose que vous êtes au courant. On n’en parle pourtant pas beaucoup. En France, les soixante ans de l’indépendance algérienne créent le malaise. Le pays ne sait toujours pas qu’en dire. En trois générations (tout va vite, de l’autre côté de la Méditerranée!), les passions ne se sont pas apaisées sur place non plus. La «sérénité de l’Histoire» constitue souvent un vain mot. Il y a d’un côté la «doxa» anticolonialiste. De l’autre, les braises de l’OAS. Et entre deux, des populations entières qui sèment le trouble et la gêne. Quid des «pieds noirs»? Et des «harkis»? Ou des révolutionnaires de la première heure qui se sont vus dépassés, voire renversés, par d’autres factions?
Anthracite, blanc et mauve
L’anniversaire qui n’en est pas un constitue la toile de fond de l’exposition d’Abdo Shanan intitulée «Dry». Elle se voit proposée au Centre de la photographie Genève, qui accomplit lui-même discrètement sa grande mue. Il suffit de voir cet accrochage, pourtant politique, au rez-de-chaussée du Bâtiment d’art contemporain ou BAC. Le visiteur le plus innocent perçoit un changement. Ce n’est plus le style longtemps maintenu par Jörg Bader, dont le départ a tenu du psychodrame (1). Danaé Panchaud a pris la succession, en ramenant le propos au 8e art. «Dry» se voit ainsi magnifié par une présentation faisant la part belle à l’image. Il suffit de regarder les murs, tantôt anthracite, tantôt blancs, tantôt mauves. Un peu le violet que j’associerais à la vache Milka de Suchard, et qui a ici gagné jusqu’au banc destiné à assurer le confort de visite. Nous sommes maintenant dans un musée, et non plus dans une sorte de maison de jeunes pour vieux «ados».

Mais qui est au fait Abdo Shanan? L’homme est né en 1982 à Oran. Comme la plupart de ses compatriotes de l’un des pays les plus jeunes du monde, il n’a pas connu directement la colonisation. Si sa mère est Algérienne, son père venait par ailleurs du Soudan. Un protectorat britannique, cette fois. Une région qui a elle aussi connu bien des crises. La vie n’a rien d’un long fleuve tranquille, même s’il pourrait ici s’agir du Nil. Shanan a grandi dans cet arrière-pays de l’Egypte. Il est revenu en Algérie à 27 ans, avec le désir de devenir photographe. En 2012, l’homme est parvenu à faire un stage à l’agence Magnum. Il utilise depuis l’image comme outil de l’affirmation de soi. Une chose difficile dans un pays qui a connu bien des basculements, dont l’un dans l’islamisme. Shanan refuse cependant cette dictature du malheur. Il va vers les gens qu’il photographie et qui lui parlent. Dans «Dry», le texte joue ainsi un rôle important. Il est beaucoup questions d’origines, d’appartenance ou de fin dernière. «Je sais que je vais mourir ici. C’est important pour moi d’y être enterré.»

Deux types de photographies se mélangent dans «Dry». Il y a des portraits assez serrés, pris en couleurs. Le piqué y est très net. Très précis. L’identification facile. Mais Abdo Shanan y ajoute des clichés en noir et blanc à la limite de l’évanescence. Des sortes d’images mentales. Tout se répond, sans que les associations d’idées s’imposent. Pour ce qui est du texte, le visiteur ne saura d’ailleurs jamais du reste qui a dit quoi. L’important reste que les mots aient été prononcés. Ils appartiennent à une sorte de collectivité. Il s’agit de phrases fortes, parce que simples. Le texte de présentation donné par la feuille de salle se révèle en revanche assez trapu. Trop cérébral. Dommage. Une exposition s’adresse selon moi prioritairement à un public.
(1) Tout n’est pas fini! Jörg Bader demanderait encore pour ce qu’il considère comme un licenciement un énorme dédommagement.
Pratique
«Abdo Shanan, Dry», Centre de la photographie Genève, 28, rue des Bains, Genève, jusqu’au 21 août. Tél. 022 329 28 35, site www.centrephotogeneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.
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Exposition à Genève – Le Centre de la photographie montre Abdo Shanan
L’homme est à moitié Algérien, à moitié Soudanais. A 40 ans, il montre des gens s’interrogeant sur leur identité. La présentation est très réussie.