
Je vous ai souvent dit qu’il y avait trop de musées en Suisse. Avec quelque 1200 institutions publiques et privées, nous devons battre le record du monde au kilomètre carré. Il en manque cependant paradoxalement un. Un vrai. Pour des raisons m’ayant toujours semblé incompréhensibles, le MuMode d’Yverdon-les-Bains reste un SDF de luxe, même si ses énormes collections logent depuis 1982 dans un bâtiment de la rue des Casernes. Si je sais bien compter, cela fait donc quarante ans que cet ensemble de 12 000 pièces cherche un lieu permanent d’exposition. La situation a failli se débloquer il y a bientôt vingt ans. Le musée «de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires» aurait alors pu s’installer dans «Le Nuage». Un vestige d’Expo.02 sur l’«arteplage» d’Yverdon. La mode eut du coup intégré l’actuelle Maison d’Ailleurs. La chose ne s’est finalement pas faite, et le MuMode doit se contenter du strapontin que lui offre parfois le Château pour montrer quelques robes.
Les robes de la comtesse
Depuis une dizaine d’années, Yverdon possède en revanche un Centre d’art contemporain, le CACY (prononcez «kaki»). Il pouvait sembler logique que ce dernier accueille une fois au moins le MuMode en ses murs, situés au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville. L’actuelle présentation s’intitule donc «Collection haute couture». Elle regroupe trente-cinq vêtements provenant du même fonds. Un choix de l’actuelle directrice du musée fantôme Anna-Lisa de Pontbriand. Sur la documentation remise au visiteur, le nom de la donatrice n’apparaît pas. Il se voit juste indiqué qu’il s’agit de «la garde-robe de l’épouse franco-américaine d’un ambassadeur». L’histoire me disait bien quelque chose. J’ai cherché dans mes souvenirs, ce qui ressemble un peu pour moi à fouiller dans la poubelle. Et j’ai retrouvé! Il doit s’agit de la comtesse Edouard Decazes de Glücksbierg, née Caroline Triplett Tagliaferro Scott, qui figure toujours dans le bottin de téléphone lausannois. Le comte, lui, s’en est allé à 99 ans en 2020. Le couple a longtemps vogué entre les champs de courses, pour surveiller ses chevaux à Chantilly, et Gstaad, afin de skier et surtout d’après-skier. Monsieur était haut placé parmi les chevaliers de Malte. Les cinq enfants au Rosey. Toute une époque…

Le couple s’était marié en 1950. Les tenues de ville et de soirée les plus anciennes exposées (et sans doute données) ne remontent pas au-delà de 1958. Elles permettent de voir ce qu’était une élégance discrète et de bon ton dans les années 1960 et 1970. Madame avait son couturier de prédilection, à qui elle faisait certaines infidélités. Mais c’était pour un manteau plissé signé Jacqueline de Ribes, une robe du soir et sa sortie de bal d’Edward Molyneux ou un chemisier imprimé dû à Emilio Pucci. Du très grand luxe, du sur-mesure naturellement, mais sans rien de tapageur. Même la robe rouge d’André Courrèges, très bien coupée, se conformait à toutes les bienséances. De celui que Chanel appelait «le géomètre», il n’était pas question que la comtesse revête une minijupe blanche tenue par des bretelles. Qu’auraient alors dit les autres chevaliers de Malte?
Le compagnon de Givenchy
Et qui était donc ce favori? Il s’agit de Philippe Venet, mort discrètement à 91 ans en 2021. Lyonnais, Venet avait débuté chez Elsa Schiaparelli. Il y avait rencontré Hubert de Givenchy, qui est devenu son compagnon d’une vie. En 1952, il assista logiquement Hubert, qui ouvrait sa propre maison, comme premier tailleur. Mais ne voulant pas vivre dans son ombre (Hubert devait mesurer au moins quarante centimètres de plus que lui!), il créa sa propre entreprise en 1961. Philippe y donna une mode de très bon goût, refusant tout excès. Elle devait énormément plaire aux Américaines. L’ancien tailleur devint surtout célèbre en France pour ses manteaux architecturés, coupés au millimètre près. Il y en a de très beaux à Yverdon, dont un jaune vif avec des empiècements géométriques faisant l’affiche. Venet ferma sa maison en même temps que Givenchy. C’était en 1994. Il ne voulait pas faire cavalier seul.

Un film projeté sur un mur montre son défilé automne-hiver de 1990-1991. C’est très distingué. Pas une note de vulgarité. On peut comprendre que Caroline Decazes l’ait préféré à Chanel, à Dior, à Saint Laurent, à Balmain ou à Givenchy lui-même. Ses achats répétés en haute couture dans cette maison finalement rare constituent un trésor muséal. Il n’y a jamais eu à ma connaissance d’exposition Venet, et je doute qu’il s’en fasse une un jour. Le nom n’apparaîtra pas assez charismatique. Si vous voulez faire une découverte en matière de haute couture des années 60-80, allez donc au CACY d’Yverdon-les-Bains.
Participation féministe contemporaine
Ah! J’allais oublier… L’institution propose en parallèle une «participation» de Xénia Lucie Laffely. La jeune femme a passé par la HEAD genevoise avant de faire son «certificat en études féministes» à Montréal. Elle travaille le textile pour donner des tableaux matelassés et peints en forme de patchworks. Xénia donne un long entretien dans la brochure d’accompagnement. Il y est bien sûr question de patriarcat, de fluidité, de culture «queer» ou de genre. Son discours est supposé audacieux et subversif. Vu le nombre de mots à la mode par ligne de texte, je dirai plus simplement qu’il reflète le discours devenu dominant de notre temps.
Pratique
«Collection haute couture», Centre d’art contemporain, place Pestalozzi, Yverdon-les-Bains, jusqu’au 17 avril. Tél. 024 423 63 80, site www.centre-art-yverdon.ch Ouvert le jeudi de 12h à 20h. Du vendredi au dimanche de 12h à 18h.
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Exposition à Yverdon-les-Bains – Le CACY s’habille en haute couture grâce au MuMode
Le musée fantôme, qui cherche un lieu fixe depuis quarante ans, se retrouve au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Ville pour une exposition très distinguée.