
Voilà qui sent l’automne! Le Centre d’art contemporain (CAC) accueille à nouveau les Bourses Berthoud-Chevalier et Galland (BLCG). Dédiées à la création contemporaine, elles sont je le rappelle doublement vouées aux arts plastiques et aux arts appliqués. Pas toujours facile de faire la distinction de nos jours! Les deux lauréats ou lauréates repartent chacun(e) avec 10 000 francs. Depuis 2020, chacun des quinze participants reçoit par ailleurs 2000 francs afin de «concrétiser sa proposition», comme on dit aujourd’hui. En langage clair, la chose signifie que la Ville a participé aux frais. «Participer» me semble du reste le mot juste. Même sans tenir compte de l’inflation actuelle dont on nous bassine les oreilles, que peut-on faire en ce moment avec 2000 francs? Fanny Balmer présente ainsi six tableaux au quatrième étage du Centre, où elle occupe toute une salle.
Dans la piscine de Rémi Dufray
D’une manière générale, le CAC a tenu à ce que chacun et chacune dispose d’un espace individuel. «Une chambre à soi», comme aurait dit Virginia Woolf. Les postulants à l’une ou à l’autre des deux bourses peuvent ainsi proposer des univers personnels. Il n’y a du coup pas cet «aplatissement» fâcheux qu’imposent les «collectives». Aucun rapport entre la belle ambiance nocturne de la participation signée par Tristan Bartolini avec ses stèles, les réflexions dans deux miroirs sous une lumière verte de James Bantone ou la piscine installé au troisième étage par Rémi Dufay. Une grosse flaque d’eau à laquelle le public accède par une rampe de bois clair. Tout le monde reste dans son élément, liquide ou non. Il faut une fois de plus saluer le commissariat d’Andrea Bellini, directeur du CAC. L’homme a su tirer le maximum de chaque contribution, qui se retrouve du coup magnifiée par sa présentation et son éclairage. Le décor se révèle aussi important pour une exposition que le maquillage peut l’être chez certains humain.e.s…
Langage très inclusif
Les choses se retrouvent-elles du coup embellies? C’est probable. Un puits noir souligne les figures sculptées par Ilana Windericks pour «Les nombreuses» (elles ne restent en réalité que deux). Il fait oublier tout ce que cette installation blanche doit à George Segal (1924-2000). Les bijoux posés sur des fragments de mannequins bleus occultent le fait que la proposition de Louise Leï Wang tient en fait de la boutique de mode. La peinture un peu bricolée, mais très colorée, de Gustave Didelot ressort plus vive encore sur un fond sombre. La mode selon le collectif Agapornis échappe enfin par la grâce de la mise en scène à ce qu’elle pourrait avoir de convenu. Voire de répétitif. Nous sommes à nouveau ici dans l’identité et le genre, saupoudrés d’une bonne dose de «self care». D’où un langage inclusif, du «x» en veux-tu en voilà, du «iel» et du «elleux». On commence à connaître la chanson…Tout cela fait «mielleux».
«En contraste avec les délicates touches de peintures qui composent ses tableaux, les représentations d’une «hyper-girliness» azimutées font autant appel aux cultures «white trash» qu’à l’objectification du corps féminin produite par le «male gaze.»
C’est du reste bien là le problème, quelles que puissent se révéler les réussites plastiques. Avec les participants et participantes, qui ont presque tous transité par la très formatrice HEAD genevoise, nous baignons dans les nouveaux conformismes. Les idées reçues. Les tics de langage. A ce propos, mieux vaut patauger (avec des bottes fournies par le CAC) dans la séduisante piscine de Rémi Dufay que dans certains textes rédigés par, ou pour les artistes. Certains d’entre eux (ou «elleux») se révèlent si caricaturaux qu’ils donnent l’impression de pastiches, et donc de moqueries. Je vous en cite juste un, qui qualifie le travail de Marilou Bal. Une peintresse donnant une gentille peinture figurative dans la lignée de Nina Childress (1). «En contraste avec les délicates touches de peintures qui composent ses tableaux, les représentations d’une «hyper-girliness» azimutées font autant appel aux cultures «white trash» qu’à l’objectification du corps féminin produite par le «male gaze.» Vous m’en direz tant! Regardez plutôt avec vos yeux à vous! Il y a cette fois beaucoup à voir.
(1) Très à la mode, Nina Childress sera l’hôte du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds à partir du 6 novembre prochain. «Cils, poils, cheveux»…
Pratique
«Bourses BLCG de la Ville de Genève, Centre d’art contemporain, 10, rue des Vieux-Grenadiers (désolé, il n’y a pas de Vieilles-Grenadières), Genève, jusqu’au 2 octobre. Tél. 022 329 18 42, site www.centre.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.
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Jeunes artistes – Le CAC montre les boursiers de la Ville de Genève
Ils ont quinze sur trois étages du Centre d’art contemporain. Le décor et les éclairages font beaucoup pour flatter ce qui nous est montré.