
C’était à Palexpo dans le cadre d’Artgenève, tout au début du mois de mars. Organisé pour la dixième fois, ce salon restait comme de coutume dans les blancs crus, avec par-ci par-là un zeste de gris, de beige ou du vert d’une olive peu appétissante. Le contemporain, comme la cuisine ou l’hôpital, reste voué à l’absence de couleurs aux murs, même si l’on peut affirmer que le blanc en constitue normalement aussi une. Et là, au milieu d’une allée, il y avait tout à coup un stand rouge. Mais alors rouge vif. Un éblouissement. Mettez-vous lunettes de soleil! C’était celui du bimestriel «L’art à Genève», qui a fêté en 2021 ses 30 ans. Comme tout le monde le sait, Artgenève n’a pas pu se dérouler l’an dernier…
Laisser une trace
Sur le stand en question se retrouvait une pile de livres. A couverture vermillon, bien sûr. Pour ses trente ans de travail au service des institutions et galeries du canton de Genève, Vanna Karamaounas s’est offert une grosse publication, «afin de laisser une trace». Depuis 1991, il y a en effet eu 184 numéros tenant de l’agenda éphémère. A jeter après consommation. Les visiteurs en retrouveront l’image en rappel aux revers des doubles couvertures mobiles. «J’ai retrouvé un exemplaire de toutes les éditions, sauf une.» J’ai vérifié. C’est le numéro 6. Epuisé!

Comment ce dépliant est-il né? D’une impulsion. «J’ai grandi dans le monde de l’art. Mes parents avaient fondé la galerie Kara. Un jour, en me réveillant, je me suis rendu compte que de leur travail, comme de celui de leurs confrères et consœurs, il ne resterait rien de tangible.» Genève ne possédait pas, comme les grandes villes, d’agenda culturel où tout se retrouvait imprimé. «C’était là un véritable manque, d’autant plus qu’il existait alors bien davantage de galeries que maintenant. La crise de 2008, puis la pandémie en ont laminé leur nombre.» Et je vous ai déjà expliqué plusieurs fois pourquoi il devenait aujourd’hui quasi impossible d’en ouvrir de nouvelles en Suisse, vu les réticences (appelons-les comme cela) bancaires.

Soutenue par quelques mécènes et surtout par une publicité alors généreuse, la publication («rouge comme la passion») a pris son essor. «Mais je me suis dit il y a quelques années, qu’un agenda finalement assez sec ne suffisait plus aujourd’hui. Mes parents avaient très vite développé un site pour leur galerie. Il devenait grand temps de m’y mettre. J’ai donc complété les informations imprimées par des regards et des entretiens.» Une idée de plus en plus suivie par le public. «Je compte aujourd’hui 28 000 visiteurs par mois, soit environ 900 par jour. Les abonnés à la «newsletter» sont montés à 9000.» Les artistes se sont prêtés au jeu. C’est le cas d’internationaux comme Christo ou Christian Boltanski, qui ont donné des interviews effectuées juste avant leur mort. Celui également de Suisses appartenant à toutes les générations, de Valérie Favre à Sylvain Croci-Torti. «Cela m’a aussi permis de revenir à l’écriture, qui reste un de mes plaisirs». Autrement «L’art à Genève» représenterait surtout pour Vanna beaucoup d’administration…

Internet a aussi permis à Vanna Karamaounas de sortir un peu de son cadre. «Il est aujourd’hui impossible de ne pas tenir compte que les gens se déplacent s’ils le peuvent.» Paris ne se situe, sur le plan horaire et non plus kilométrique, guère plus loin que Zurich. «Je me dois de refléter ce qui s’y passe.» Le lecteur de l’ouvrage actuel retrouvera ainsi des textes suggérant cette aération possible. Des conversations avec des créateurs, surtout. Mais également des dialogues en compagnie de «personnalités du monde de l’art». Curateurs. Galeristes. Collectionneurs. Vanna est l’auteure de la plupart d’entre eux. Mais pas de tous. Il lui arrive de laisser la plume (électronique) à d’autres personnes.

L’ouvrage se termine avec des pages qui resteront bien utiles à l’avenir. Il s’agit de «Galeries de A à Z, Une trace historique», avec quelque deux cents notices (1). «Rien n’existait sur la question. Je me suis basée sur ma publication qui, loin de se cantonner au contemporain, envisageait toutes les formes de l’archéologie à l’art brut.» Il a tout de même fallu que Vanna entreprenne des recherches complémentaires. «Certains lieux ont pu m’échapper. Ou alors je ne retrouvais le moment ils ont cessé leur activité.» Personne n’aime annoncer la fin d’un commerce. Tout se termine dans le vague… «Je me suis du coup senti obligée de laisser quelques points d’interrogation.» Quid de la Galerie Verdaine, de Terranova ou de la version genevoise de Rivolta, qui nous arrivait cette fois non plus de Paris, mais de Lausanne?

Il fallait, il faut du reste toujours du reste, déterminer ce qu’est une galerie. Pour Vanna Karamaounas, le fait de suspendre quelques tableaux dans un restaurant ne suffit pas, même si Pierre Huber a commencé ainsi sa brillante carrière. «Pour moi, il doit y avoir une activité commerciale permanente. Le lieu ne doit pas louer simplement ses murs à des artistes. Une activité d’exposition régulière s’impose.» Mais là, mon interlocutrice doit se montrer plus indulgente aujourd’hui qu’hier. «Mes parents changeaient d’accrochage après trois semaines à peine. Aujourd’hui, on estime qu’une galerie étirant ses présentations jusqu’à n’en avoir plus que deux ou trois pas an est suffisant.» Un signe de perte de vitesse… Sans doute…
(1) La plus longue activité continue est aujourd’hui celle de Sonia Zannettacci. Quarante-deux ans au 4, rue Henri-Fazy!
Pratique
«Ceci est un objet artistique, L’Art à Genève, 30 ans, 1991-2021», 204 pages.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Galeries genevoises – «L’Art à Genève» publie un livre pour ses 30 ans
Vanna Karamaounas publie son agenda depuis 1991. Elle l’a complété par un site proposant des entretiens filmés. Son travail actuel servira de référence.