
C’est un monument depuis 1996. Comme c’est souvent le cas, l’Alhambra genevois a failli auparavant se voir démoli. La protection suit le danger, au lieu de le précéder. La Ville, qui se pare une fois de plus aujourd’hui des plumes du paon, n’avait rien fait pour sauver l’antique cinéma des griffes de promoteurs. Il aura fallu pour cela une votation populaire en 1995. Aujourd’hui protégé et rouvert sous forme de salle de concert en 2015, le bâtiment méritait bien une publication à l’occasion de son centenaire. La voici.
Une spéculation des années 1910
C’est Catherine Courtiau qui s’est chargée d’un livre réunissant plusieurs contributeurs en plus d’elle-même. L’historienne peut ainsi rappeler l’opération immobilière menée pendant la guerre de 1914. Sous l’habituel prétexte d’insalubrité (quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage), des îlots de la vieille ville s’étaient alors vus sauvagement démolis. D’une partie du terrain, il reste encore un parking, rien ne s’étant décidé comme souvent à Genève en cent ans. Sur l’autre se dresse l’Alhambra qui s’appelait au départ l’Omnia, comme le prouve une inscription gravée dans la pierre du fronton. Il s’agissait là du plus important cinéma local de l’époque, inauguré en 1920. Il développait des ambitions, traduites par l’architecte Paul Henri Jules Perrin (1876-1970), dit Perrin Père. Ce dernier, nous révèle l’auteure, avait succédé à Alfred Olivet pour des raisons inconnues. A son ouverture, le lieu comportait 1400 places. Elles se verront réduites à 1200 au moment de la transformation pour le film parlant en 1929. Les spectateurs devenant à la fois exigeants et moins nombreux, le nombre de sièges se vit un nouvelle fois abaissé. Sept cent soixante sièges en 1970. Quand j’ai découvert en «première vision» le «Ben-Hur» de 1959 à l’Alhambra, je n’étais donc pas tout seul dans la salle…

Dès les années 1970, le bâtiment a paru désuet. Il a surtout excité les appétits, particulièrement voraces, de Jean de Toledo (1911-2012). Le promoteur y avait vu une affaire juteuse et, comme il s’agissait d’un député radical bon teint, il la voyait déjà tombant dans son escarcelle. L’homme, qui s’agita comme un beau diable jusqu’à ses 100 ans en faveur de l’automobile, voulait un parking géant. La chose ne se fit donc pas. Succédant à Catherine Courtiau, Isabelle Brunier peut ainsi raconter la lutte pour le sauvetage de l’Alhambra, non pas AVEC mais CONTRE la Ville. La première initiative se verra déclarée irrecevable en 1980. Il y aura du coup trois motions, une pétition et un projet de loi, le tout déposé devant le Grand Conseil. Le Tribunal fédéral devra au final s’en mêler. Le scrutin final se déclarera positif pour la conservation du bâtiment à 74 pourcents. D’où le classement après un échange de terrain faisant entrer l’Alhambra dans le giron, à la fois généreux et un peu sec, de la Ville. Une bataille encore plus longue que le sauvetage de l’Hôtel Métropole en 1977 (1). Sauvetage partiel ici, seuls les murs ayant été préservés…
Une histoire musicale
Il ne restait plus qu’à raconter la courte histoire de l’Alhambra devenu salle de spectacle, ce qu’il avait occasionnellement été dès les années 1920 avec la désormais panthéonisée Josephine Baker ou Maurice Chevalier. C’est là l’œuvre de Rodric Mounir, à la fois journaliste et témoin. Défilent ainsi les gloires de la scène et les festivals de cinéma, si nombreux à Genève. Il y a ici beaucoup de photos en couleurs, montrant aussi bien Manu Dibango que la Fanfare du Loup. Une nouvelle histoire a commencé. On lui souhaite à elle aussi de durer un siècle!

Assez mince, l’ouvrage se lit facilement. Catherine Courtiau a bien fait son travail, même si sa connaissance de l’histoire du cinéma ne me semble pas aussi fine que celle du patrimoine local. J’ai noté par-ci par-là de menues erreurs évitables. Si «Le chanteur de jazz» a bien été le premier film sonore projeté à Genève dans la salle de l’Alhambra, le rôle d’Al Johnson n’y est pas interprété par Jakie Rabinowitz. C’est le contraire. La projection du film en couleurs n’exige aucune modification par rapport aux bobines en noir et blanc. En 1934, le «Casanova» avec Ivan Mosjoukine n’est pas une nouveauté, mais un film muet de 1926-1927 rabiboché avec une piste sonore. Il y a eu de nouveaux longs-métrages en noir et blanc jusqu’au milieu des années 1960. Mais tout cela n’est pas bien grave. Que voulez-vous? Il faut toujours pinailler un peu.
(1) J’ai eu du mal à retrouver la date de la votation en faveur du Métropole, qui a marqué un tournant dans les mentalités genevoises. L’affaire se voit aujourd’hui partout passée sous silence. Internet, c’est aussi l’art d’effacer.
Pratique
«Alhambra», sous la direction de Catherine Courtiau, aux Editions de la Baconnière, environ 140 pages.

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Patrimoine genevois – L’Alhambra reçoit son livre pour ses 100 ans
Une équipe s’est mise au travail sous la direction de l’historienne Catherine Courtiau. Tout y est dit sur le cinéma devenu, non sans mal, une salle de spectacle.