Eh bien en voilà, une surprise! Je dois dire que je ne m’y attendais pas… Lada Umstätter a été nommée, comme vous le savez peut-être déjà, à la tête de la Haute Ecole d’art et de design. Des mots choisis à dessein pour former l’acronyme HEAD. Elle entrera en fonction le 1er janvier 2023. Jean-Pierre Greff quitte pour motifs d’âge l’institution genevoise qu’il a fait connaître un peu partout, l’homme restant avant tout un communicateur hors pair. En une quinzaine d’années, le Lorrain aura obtenu des crédits fous pour créer un organe qui s’est développé à la manière d’un cancer. Progression fulgurante. Métastases un peu partout. Cela dit, Greff ne disparaîtra pas définitivement de la scène, même si la HEAD lui souhaite une heureuse retraite dans son communiqué de presse. Ce fin renard a su se ménager quelques parachutes dorés. Une métaphore audacieuse. Je n’ai jamais vu jusqu’ici le moindre goupil sauter en parachute…
Dix ans à La Chaux-de-Fonds
Il y a longtemps que je connais Lada Mamedova, qui est arrivée en Suisse après avoir soutenu à Moscou (où elle est née en 1971) son doctorat en histoire de l’art. La femme a ainsi travaillé à Genève, enseignant notamment sept ans à l’Université. Elle y a notamment créé un séminaire dédié à l’art suisse. Un sujet qui la passionne. Mariée à un collègue, Gabriel Umstätter, la professeure a aussi bien passé par la suite une première fois par le Musée d’art et d’histoire (MAH) que par l’ex-Musée d’ethnographie (MEG). Lada a surtout été remarquée au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, où je suis souvent allé la voir. Elle a tenu dix ans à la tête de cette institution apparemment périphérique, où elle avait succédé à Edmond Charrière. Une décennie où elle aura mené à bien des expositions importantes, comme celles consacrées à Olivier Mosset, à Blaise Cendrars ou au design soviétique.
Expositions réussies
Lada a ensuite postulé pour une conservation en chef au MAH genevois, alors dirigé par Jean-Yves Marin. Je ne suis pas sûr que la chose ait été une bonne idée. Retenue sur bien des candidats et candidates, elle se retrouvait dans une institution aussi légère qu’un camion-citerne, où la moindre décision (quand il y en a au final une!) prend un temps infini. L’historienne sera tout de même parvenue à refaire de manière intelligente l’accrochage de l’étage consacré aux beaux-arts. On lui aura aussi dû au Musée Rath une exposition réussie comme «Silences». Plus récemment, elle proposait encore au Musée d’art et d’histoire même «Mode et portraits», produit avec des bouts de ficelle. Une exposition utilisant ses connexions russes. L’apport slave est toujours resté chez elle très important.
«Elle montre un vif intérêt pour les questions cruciales touchant au rôle des créatrices et créateurs, et à leur apport pour résoudre des défis éthiques, sociétaux et environnementaux dans un monde en pleine mutation.»
Je ne sais pas ce que Lada Umstätter fera à la tête de la HEAD, institution pour laquelle je ne suis jamais senti d’empathie, faute sans doute de sympathie. Pour l’instant, le communiqué de cette dernière reste un petit chef-d’œuvre en matière de langue de bois. Jugez plutôt! «Elle montre un vif intérêt pour les questions cruciales touchant au rôle des créatrices et créateurs, et à leur apport pour résoudre des défis éthiques, sociétaux et environnementaux dans un monde en pleine mutation.» Et je vous passe le reste! Tout cela, comme dirait Molière, n’est que galimatias. L’important est que Lada, que j’aime personnellement beaucoup, ait été retenue. Elle accomplira sans nul doute du bon travail, solide, à l’opposé des platitudes énoncées par les officiels. Et tant pis si elle a triomphé grâce à son «management collaboratif faisant appel à l’intelligence collective»! Des mots qui me font douter de l’intelligence tout court des auteurs du communiqué…
Faire joujou avec les collections
Où je me sens nettement plus inquiet, c’est pour le MAH. Lada représentait le dernier rempart scientifique dans une institution se voulant aujourd’hui anti-académique. Les expositions confiées en 2021 à Jakob Lena Knebl, puis en 2022 à Jean-Hubert Martin en ont formé la preuve. Il s’agissait de battre les cartes et de faire joujou avec les collections. L’optique de Marc-Olivier Wahler est de créer le «musée de demain» en jetant par-dessus bord celui d’hier. Un certain iconoclasme semble du coup à l’ordre du jour. La revue «Genava», que peu de gens lisaient, a ainsi disparu. Il s’agit plutôt de créer des événements festifs dans l’espoir de voir un jour construit (ou creusé) le MAH nouveau. Et soit dit entre nous de pouvoir régater avec Lausanne, qui vient de triompher avec l’inauguration d’une des dernières étapes de Plateforme10.
Successions difficiles
Qui succédera à Lada? Sera-t-elle véritablement remplacée? Il est permis de se poser la question. Depuis le temps devenu lointain de Jean-Yves Marin, il n’y a plus vraiment de Monsieur ou de Madame Archéologie. La succession au Cabinet des arts graphiques de Christian Rümelin prend du temps. La direction voudra-t-elle engager une personne comme Lada, qui était visiblement entrée en résistance depuis des années? Notre Ministère de la culture, où tout sembler patauger, réagira-t-il à ce départ inopiné? La réponse risque d’être longue, voire par défaut dans une cité où le MEG lui-même semble aujourd’hui entré en jachères faute de direction. Lada représentait probablement le passé pour le MAH actuel. Mais on aimerait bien qu’il y ait aussi un avenir scientifique rue Charles-Galland.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Nomination genevoise – Lada Umstätter passe à la HEAD. Et le MAH, alors?
La conservatrice était le dernier rempart scientifique d’un Musée d’art et d’histoire désormais tourné vers l’événementiel. Sera-t-elle remplacée?