
C’est un musée célèbre, situé dans une ville certes à l’écart des grandes routes, mais tout à fait accessible. L’Accademia Carrara de Bergame a rouvert ses portes le 25 janvier dernier après s’être refait une beauté. Chantier court. Si la récente restauration et l’aménagement du beau bâtiment néoclassique de 1810 avaient duré de 2008 à 2015, ce qui avait d’ailleurs permis à une partie des collections de se faire voir à l’Hermitage de Lausanne, l’actuelle opération cosmétique s’est contentée de quelques mois. Les lieux avaient fermé le 28 août 2022 en vue de l’«année de Bergame capitale culturelle italienne 2023», conjointement avec sa voisine Brescia.
Fondation en 1796
Un peu d’histoire maintenant. L’institution porte de nom du comte Giacomo Carrara, mécène de la cité. L’homme avait présenté ses collections chez lui dès 1793. Il les a léguées trois ans plus tard à la ville qui faisait encore partie (pour quelques mois à peine!) de la République de Venise. L’aristocrate voulait un musée et une école, ce qui fut fait alors que l’Italie formait un éphémère royaume dirigé par Eugène de Beauharnais, beau-fils de Napoléon. L’institution va considérablement s’enrichir au XIXe siècle avec notamment l’entrée des collections Guglielmo Loschis en 1866 ou Giovanni Morelli en 1891. Le XXe restera nettement plus calme. Gérée par la ville depuis 1958 (et non plus par un administrateur), l’Accademia semblait encroûtée et triste quand je l’ai découverte à la fin des années 1960. Tournée vers le passé aussi. C’est en 1991 seulement qu’a ouvert de l’autre côté de la place Carrara le GAMEC, ou musée d’art moderne.

L’actuel rafraîchissement a servi à adapter le musée, dirigé par Maria Cristina Rodeschini, au goût contemporain. Celui-ci se veut très coloré, surtout depuis que Guy Cogeval a repensé en technicolor les salles impressionnistes d’Orsay. Le grand hall néo-classique tient désormais du salon, avec quatre grandes toiles mythologiques de Padovanino dans la mouvance du Titien. Le comble de l’audace est atteint dans l’escalier, recouvert d’une sorte de papier peint très XIXe, avec plein de fleurs et de fruits. Les décorateurs l’ont incrusté de motifs empruntés aux tableaux du fonds. C’est très réussi, l’espace restant en lui-même assez ingrat. Puis viennent les seize salles, divisées en deux ailes. L’une arbore maintenant des dégradés de rouge. L’autre est dans les bleus, en partant du noir pour aboutir à un «ciel» très soutenu.

L’accrochage s’est vu entièrement repensé. Il apparaît moins dense. Un seul rang de tableaux. Moins de sculptures. Des éclairages bien pensés mettant en vedette chaque œuvre, la plupart du temps présentée sans verre de protection. C’est le circuit des chefs-d’œuvre, avec trois cents numéros seulement. Tous italiens. Il faut dire que le musée possède un ensemble éblouissant de Pisanello, Cosmè Tura, Crivelli, Jacopo et Giovanni Bellini, Mantegna, Raphaël, Botticelli ou Titien. Une focalisation se veut bien sûr faite sur les portraits de deux Bergamasques: Moroni au XVIe siècle et Ghislandi au XVIIIe. Tout se termine avec quelques grandes toiles du XIXe, dont l’ahurissant «La malédiction maternelle» de Ponziano Loverini (1891).

Les collections ne restent plus figées. En 1998, le grand historien d’art Federico Zeri a choisi l’Accademia pour son prestigieux ensemble de sculptures, présenté adroitement dans un cabinet. Est-ce l’idée d’une nouvelle réouverture? Le Carrara a reçu l’an dernier en don l’une des plus belles séries de médailles et de petits bronzes italiens de la première et seconde Renaissance en mains privées. Il a fallu déployer des trésors d’ingéniosité pour disposer sans monotonie les largesses de Marco Scaglia. En partie seulement! Il y a là mille cent pièces, qui resteront ainsi ensemble. Plus un tableau très inhabituel d’Evaristo Baschenis. Il ne s’agit en effet pas d’une nature morte avec instruments de musique, mais d’une image de jeune garçon. Les visiteurs actuels peuvent ainsi découvrir, égrenées, un premier florilège des médailles.

Vu le côté aéré de la nouvelle présentation, il y aura en effet des suites. Quand le musée aura remballé l’exposition Cecco del Caravaggio, dont je vous parle dans un autre article (1), il y aura le premier étage de disponible. Il servira, si j’ai bien compris «The Art Newspaper», à organiser des accrochages ponctuels en effectuant quelques emprunts extérieurs, histoire de donner une cohérence aux tableaux et sculptures actuellement en réserves. Les salles du second étage, avec leur parcours de référence, se verront ainsi complétées de manière renouvelée. L’Accademia a largement de quoi faire. Elle vient en plus de prouver un dynamisme volontariste dans cette ville frappée il y a trois ans par la pandémie. Curieusement, la réussite de l’actuel Carrara ressemble beaucoup (en moins luxueux tout de même!) à celle de la Pinacoteca Tosi Martinengo de Brescia, dont je vous ai parlé en 2018. Comme quoi l’actuel jumelage Bergame-Brescia est finalement bien vu!
(1) Miracle! En dépit du sujet, personne n’a parlé de pédophilie.
Pratique
Accademia Carrara, 82, piazza Giacomo Carrara, Bergame, jusqu’au 4 juin. Tél. 039 035 2343 96, site www.lacarrara.it Ouvert de 9h30 à 17h30 le lundi, le mercredi et le jeudi, jusqu’à 18h30 les vendredis, samedis et dimanches, jusqu’à 13h le mardi. Pas besoin de réserver.

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Musées italiens – L’Accademia Carrara s’est refait une beauté
L’institution bergamasque, restaurée entre 2008 et 2015, a passé à la couleur. Elle a aussi conçu un circuit des chefs-d’œuvre. Et il y en a!