EnvironnementLa Suisse, hub mondial de la philanthropie des océans
Si la Suisse n’a pas de façade maritime, un terreau favorable a vu émerger de nombreuses initiatives en faveur des océans. De la Genève internationale à la logique de travail en réseau, le pays se positionne comme un hub pour la philanthropie liée aux milieux marins et aux zones côtières.

Pas de mangrove ni de récif corallien en Suisse. Notre pays semble loin des océans. Pourtant, des balises posées sur des requins des Açores aux outils de gestion des aires marines protégées au Chili, la Suisse et les actions de ses philanthropes sont partout dans les mers du monde. Comment expliquer cet attrait pour les espaces océaniques et les rivages des mers lointaines et la prise de conscience des enjeux de ces régions?
Souvent, derrière une action en 2022, il y a une histoire personnelle, des souvenirs d’enfance. Ainsi, André Hoffmann se souvient de la découverte du delta du Rhône avec son père, Luc Hoffmann. «En Camargue, le rivage est une grande plage avec des marais. Pendant longtemps, c’était le seul rivage que je connaissais. Je m’y suis promené de longues journées, c’était une découverte rousseauiste. Cela fait partie du processus de devenir adulte: on a tous un jardin secret sur ce que la nature peut faire pour nous.»
Parfois, la prise de conscience intervient lors d’un événement marquant. Laurence Pian a vécu un traumatisme familial avec la perte de deux enfants en Thaïlande lors du tsunami de 2004. C’est ce qui l’a poussée à lancer la Fondation Jan & Oscar. «J’avais un sentiment de reconnaissance pour les gens qui se sont occupés des survivants. C’est au fil des années que j’ai été alertée par des interlocuteurs en Thaïlande de la situation des Moken, des nomades de la mer qui vivent sur les îles d’Asie du Sud-Est.»
«Nous sommes très heureux d’être à Genève car nous avons un accès facile aux organisations internationales et donc à tous les réseaux diplomatiques et scientifiques»
Cependant, au-delà des mécènes, la Suisse héberge également nombre de fondations, associations et ONG de terrain actives dans des programmes de préservation et de restauration des océans et des zones côtières. Pour Sabrina Grassi, directrice de la fondation abritante Swiss Philanthropy Foundation, cela peut s’expliquer principalement par deux facteurs: le lien qui unit les glaciers et lacs aux océans via les fleuves, et le rôle international de la Suisse.
«Le fait de ne pas avoir un accès à la mer n’est pas en contradiction avec un intérêt pour ces thématiques. Il faut voir que la Suisse est la plateforme idéale pour réfléchir à ces thématiques, avec l’accès aux organisations internationales, et aux experts de ces questions. C’est cette facette qui est privilégiée.» Un avis confirmé par Pascal Hagmann, directeur de l’association Oceaneye, basée à Genève. «Nous sommes très heureux d’être à Genève car nous avons un accès facile aux organisations internationales et donc à tous les réseaux diplomatiques et scientifiques. Mais également à de nombreuses fondations donatrices basées à Genève.»
Et Sabrina Grassi d’ajouter qu’au-delà de la Genève internationale, «la Suisse est historiquement et culturellement un pays ouvert sur le monde, par son économie, sa recherche scientifique et l’appétence de ses habitants pour le voyage, ainsi que la forte tradition philanthropique».
Ce sont ces dernières caractéristiques qui ont notamment poussé la famille Mimran, basée à Gstaad, à impliquer sa Fondation TO: dans de nombreux projets lointains, dont des programmes de plantation de mangroves. «Nous avons appris que les mangroves sont très affectées par le changement climatique alors qu’elles absorbent énormément de carbone, mais aussi présentent d’autres avantages comme des barrières contre les raz de marée, des nurseries pour animaux ou la dessalinisation. Nous avons lancé des programmes au Sénégal et au Vietnam et avons cherché comment connecter cette action à d’autres programmes dans une approche multidisciplinaire», confie Nachson Mimran. C’est ainsi que TO: a développé des produits dérivés à partir de déchets et de ressources tirés de ces mangroves.
Une logique de connexion
Une démarche entrepreneuriale qui associe tout un écosystème, en Suisse puis sur le terrain d’action. Notamment grâce à une densité d’entités. «Il existe en Suisse un véritable terreau avec des entités montées par des passionnés des océans, des plongeurs et navigateurs, des scientifiques et des entreprises qui ont un chiffre d’affaires conséquent qui cherchent à redonner, notamment avec un lien aux océans», analyse Laurianne Trimoulla, porte-parole d’Oceaneye. Ce qui permet à son association de vivre grâce à ces soutiens: 80 à 90% du budget vient de fondations privées, de dons de communes et d’entreprises.
Mais Oceaneye s’intègre également dans l’écosystème de la recherche. Les échantillons microplastiques collectés par les navigateurs sont analysés par l’association et les données relatives sont publiées et fournies aux chercheurs afin d’affiner les connaissances, dans une démarche de sciences participatives.
Et cette logique de connexion se retrouve également dans la démarche de la Fondation Jan & Oscar. «Les enfants que nous suivons et qui sont arrivés au terme de leur scolarité n’ayant ni débouchés professionnels ni reconnaissance sociale (car les Moken n’ont pas la nationalité thaïlandaise), nous avons créé une entité qui leur apprend à trier les déchets plastiques des océans. Puis nous avons trouvé des partenaires industriels intéressés par cette ressource. Et désormais, nous travaillons avec le WWF pour dupliquer ce programme ailleurs en Thaïlande», décrit Laurence Pian.
«Quand on voit une photo avec un bébé gorille que l’on a sauvé, cela fait du lien. Il faut trouver une connexion similaire avec les coraux pour créer un lien direct.»
Ce type de soutien au lancement d’une activité s’inscrit parfaitement dans la stratégie de nombreuses organisations internationales. Ainsi, Minna Epps, responsable du pôle Océans au sein de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), souhaiterait voir émerger d’autres initiatives similaires: «Il faut un pipeline avec des projets dans lesquels investir. Il reste un gap entre la conservation et les investissements possibles.
Comment le résoudre? Il y a un mix entre argent privé et public. Il y a des bourses pour les entrepreneurs et les développeurs, avec un challenge, avec le WEF sur un projet d’aquaculture régénérative. Avec cette bourse, cela permet de développer et d’arriver à un business plan, et les investisseurs peuvent ensuite venir plus facilement. Car de nombreux projets sont bons pour la nature mais pas viables économiquement, et il faut donner l’impulsion pour qu’ils acquièrent cette caractéristique.»
Une logique que suit également la Fondation MAVA. Ainsi, pour André Hoffmann, «notre futur est de protéger la nature avec et pour l’humain et non pas contre l’humain. Une zone protégée par des forces exogènes est en danger sur le long terme: comment inclure la nature dans notre système de création de valeur?» interroge-t-il.
S’appuyer sur les populations locales, les riverains des océans, c’est la clé d’une sauvegarde durable des mers. «Si l’on s’occupe de projets humains sans aborder les enjeux environnementaux, on est à côté de la plaque. Mais si l’on s’occupe de projets environnementaux sans un volet humain et social, c’est éphémère», avertit Dominique Brustlein-Bobst, philanthrope ayant soutenu la Fondation Jan & Oscar et largement impliqué dans de nombreux programmes. Celle qui vient de rejoindre l’initiative mondiale SheChangesClimate comme ambassadrice pour la Suisse prône une approche multisectorielle: «Pour des projets environnementaux en général, et liés aux océans en particulier, il faut faire des zooms géographiques. Et si on imagine un programme aujourd’hui, il faut qu’il comporte des volets environnementaux, humanitaires, sanitaires, sociaux, d’égalité pour les femmes.»
Enfin, il reste le travail en amont. D’abord la sensibilisation et l’implication du plus grand nombre. Mais quels leviers activer? Sabrina Grassi évoque la raison. «Avec la montagne, la Suisse est très vite impactée par le changement climatique et joue le rôle de château d’eau de l’Europe. Une eau qui, via les fleuves, rejoint mers et océans. Je pense que la Suisse est aux premières loges pour se sentir concernée par ces problématiques.»
Un avis que complète Dominique Brustlein-Bobst. «Pourquoi les enjeux environnementaux nous interpellent-ils aujourd’hui? Parce que nous voyons les effets. Le réchauffement de la planète ou les pollutions plastiques sont visibles et nous voulons agir.» Pour Nachson Mimran, l’émotion est également un élément primordial: «Le WWF a réussi à déclencher des actions de protection des gorilles avec des parrainages: quand on voit une photo avec un bébé gorille que l’on a sauvé, cela fait du lien. Il faut trouver une connexion similaire avec les coraux pour créer un lien direct.»
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