Été 2019. J’avais passé les deux dernières années à trader des cryptomonnaies pour le meilleur et pour le pire. Mais en voyant tous mes amis et les médias traditionnels s’intéresser au Bitcoin, j’avais le sentiment d’avoir mis la main sur quelque chose de révolutionnaire.
La blockchain s’apprêtait à changer le monde, et l’excitation de prendre part à une telle aventure atteignait son paroxysme. Sans réfléchir, j’entrepris donc un Master en Finance (option fintech) à HEC Lausanne. Mon chemin était tout tracé: diplôme en poche, je ferais carrière dans les cryptos.
Mais une fois le rideau tombé, mes cours m’ennuyaient et le sens s’évaporait de mon quotidien. Quant à la révolution blockchain, elle tardait à se concrétiser. Après quelques semaines de délibération, je décidai finalement de me réorienter dans ce qui m’avait toujours intrinsèquement intéressé: l’économie politique.
Bien que mon nouveau Master me plaisait, je vécus longtemps ce changement d’orientation comme un échec. Et une fois réconcilié avec cette décision, je me mis immédiatement à regretter d’avoir perdu mon temps.
Bonnes et mauvaises décisions vont de pair
Lorsqu’il s’agit de prendre une décision importante, la méthode la plus répandue consiste à comparer les avantages et inconvénients des options qui s’offrent à nous pour déterminer celle qui nous apporte le plus d’utilité.
Cette méthode, que j’appelle «utilitariste», présente deux problèmes fondamentaux:
Il est souvent difficile d’évaluer a priori les avantages et inconvénients liés à un choix (i.e. avant d’avoir fait l’expérience de ce choix).
La qualité de nos choix dépend de nos personnalités et sensibilités. Ainsi, une même décision peut être bonne pour toi et mauvaise pour moi.
La «bonne décision» répond avant tout à des besoins émotionnels, souvent difficiles à comprendre, et d’autant plus à réduire en un calcul purement objectif. En réalité, ce qu’on appelle «la bonne décision» est celle avec laquelle l’on se sent le plus en paix. Autrement dit: celle qui nous laisse avec le moins de regrets.
Il devient dès lors plus pratique de penser en termes de coût d’opportunité. Au lieu de viser la meilleure option objective, il s’agit de choisir celle que l’on regretterait le plus de ne pas avoir essayée, en dépit de tous les risques et incertitudes qu’elle présente. Cette méthode, que j’appelle «intuitive», présente une force fondamentale: quelle que soit l’issue de notre décision, l’on s’assure d’avance de ne pas la regretter.
(…) ce qu’on appelle «bonnes» et «mauvaises» décisions sont en réalité les deux faces d’une même pièce.
Imaginons que tu prennes tous les jours le même chemin pour rentrer chez toi. Un jour, un inconnu t’informe qu’il existe un chemin plus court dont tu ignorais l’existence. À cet instant, tu as le choix entre continuer à prendre ton chemin habituel, ou donner une chance à son supposé raccourci.
Si tu décides d’essayer le supposé raccourci, et qu’il s’avère être plus long que ton chemin, la méthode utilitariste te dira que tu as pris la mauvaise décision car tu as perdu ton temps. Au contraire, la méthode intuitive te dira que l’expérience du chemin alternatif élargit ton champ de conscience. Ce faisant, tu peux continuer à emprunter ton chemin habituel sans le doute associé au fait de ne pas connaître l’autre chemin. Car le problème avec les doutes, c’est qu’avec le temps, ils se transforment en regrets.
Revenons à mon expérience de Master: si je n’avais pas essayé la finance dans un premier temps, je ne me sentirais probablement pas aussi confiant dans mes choix actuels, bien que la réalité objective fut exactement la même. Aujourd’hui, je comprends que cette expérience faisait entièrement partie du processus, et que ce qu’on appelle «bonnes» et «mauvaises» décisions sont en réalité les deux faces d’une même pièce.
Court terme et long terme ne s’opposent pas
Une autre idée reçue consiste à concevoir court et long termes comme antinomiques: il faudrait sacrifier le court terme pour récolter les fruits de son sacrifice sur le long terme: «je fais des études que je déteste pour un jour devenir avocat», «je n’aime pas mon job mais si je tiens encore deux ans, j’aurai une promotion».
Une fois de plus, cette conception utilitariste présente deux problèmes majeurs:
Si tu détestes déjà ce que tu fais aujourd’hui, qu’est-ce qui te fait croire que tu l’aimeras dans le futur?
Sachant que nos besoins évoluent à travers le temps, il est très difficile d’estimer à l’avance ce qu’un «soi» hypothétique veut sur le long terme. Sacrifier son «soi» actuel pour un «soi» futur s’avère donc être une excellente recette pour accumuler les regrets.
La méthode intuitive, elle, nous aide à concilier court et long termes. En acceptant de passer par les étapes nécessaires à la compréhension de soi, l’on développe une patience qui nous permet d’avoir confiance en notre chemin. Paradoxalement, en se focalisant sur l’ici et le maintenant, l’on devient plus endurant sur la longueur.
Nous sommes tous au volant de notre propre véhicule, dans l’obscurité totale de la nuit noire. À quoi bon vouloir connaître notre destination, si nos phares n’éclairent que les 100 mètres devant nous?
Tout ce que nous pouvons faire, c’est avancer mètre par mètre, virage après virage. Souvent, nous rencontrerons d’autres voyageurs. Parfois, nous nous égarerons. D’autre fois, il faudra faire demi-tour.
Mais il suffit de placer suffisamment de confiance dans notre intuition pour profiter du voyage, et surtout, pour vivre une aventure digne de ce nom.

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Prise de décision – La méthode intuitive: bouclier anti-regrets
Voie d’études, parcours professionnel, destination de vacances… Longtemps, je me demandais pourquoi les autres avaient l’air si sûrs d’eux, alors que je semblais constamment insatisfait de mes choix. Jusqu’à ce que je change ma conception de «la bonne décision».