
Tout ce qui brille n’est pas or, dit l’adage. Et ce dernier a bien raison! Il n’y a pas que le métal précieux dans la vie. Il faut lui ajouter les rubis, les saphirs, les émeraudes et surtout les diamants. Beaucoup de brillants! C’est en tout cas la morale que semble dégager l’exposition «Cartier et les arts de l’Islam» au MAD parisien. L’ancien Musée des arts décoratifs, si vous préférez. Sa direction a en effet laissé le champ libre aux anciens bijoutiers des maharajahs. Il suffisait à leur collection patrimoniale (abritée sauf erreur à Genève), patiemment constituée depuis les années 1970, de se déverser dans la grande nef. Une véritable corne d’abondance.
Il y a eu jusqu’ici de nombreuses rétrospectives dédiées au joaillier. J’ai ainsi pu vous parler il y a quelques années (c’était fin 2013) de l’hommage rendu à sa production au Grand Palais (1). Les choses avaient failli mal finir. Le ton de ma chronique n’était pas assez respectueux pour l’illustre maison. Il y a comme cela des bijoutiers qui se prennent pour des majestés lésées. L’ironie tient pourtant aussi de l’hommage. Que sont devenus les hommes et les femmes politiques depuis qu’il n’y a plus partout des caricaturistes pour se moquer d’eux? Des silhouettes souvent un peu falotes sur des photos interchangeables!
Un propos qui se tient
Autant le dire tout de suite. Dans sa réalisation, «Cartier et les arts de l’Islam» se révèle une bonne exposition bien faite, avec ce qu’il faut de luxe pour donner à rêver. L’entreprise tient même un propos qui se tient. Les années 1870 et 1880 avaient été marquées par la découverte d’un Japon longtemps interdit aux étrangers. Il s’agissait là d’un orient extrême. Le japonisme avait fini par lasser, à force de répétitions. Autre chose s’imposait. L’exotisme exige un renouvellement constant. Ce sont les pays musulmans qui allaient apporter ce vent nouveau. Si l’orientalisme avait surtout montré les nouveaux colonisés comme d’étranges animaux, les pays islamiques allaient maintenant faire rêver de matières et de couleurs. Leur art non-figuratif était tantôt sinueux comme les arabesques. Tantôt géométrique à la manière des épures. Il pouvait en plus s’adapter au gré du preneur. Une véritable bénédiction.

La révélation, comme le rappelle le MAD, s’est effectuée en plusieurs temps. Il y a eu ici même, aux Arts décoratifs, la grande exposition de 1903. Sept ans plus tard, Munich proposait sa vision d’une expression allant de l’Espagne médiévale d’avant la «reconquête» à l’Inde du Taj Mahal. Des siècles et des milliers de kilomètres de distance. Cette variété devait séduire Louis Cartier, qui transformait alors une entreprise encore largement vouée au commerce des antiquités en bijouterie de haut vol. Cet Orient-là le reposait du XVIIIe siècle, par trop floral, dont il s’était jusqu’ici inspiré. Il donnait en plus une impression de richesse en permettant d’évoquer aussi bien les Moghols que les 1001 Nuits ou la cour du sultan, toujours assis à l’époque sur le trône de Topkapi à Istanbul. Les fameux «Ballets russes», présents en France dès 1909, avaient de plus préparé le terrain. Les Parisiennes se sentaient désormais prêtes à arborer les joyaux de Shéhérazade.
Les grandes sources d’inspiration
L’actuelle exposition, qui se termine avec des créations toutes récentes (dont un spectaculaire collier tutti frutti) joue sur les deux tableaux. Il y a d’une part les sources d’inspiration de Louis Cartier et de son équipe, dont le dessinateur Charles Jacqueau. Patron voyageur navigant entre les Indes et le Golfe, Cartier s’était ainsi formé sa propre collection, ici partiellement reconstituée. Il y a aussi les réserves du MAD, qui achetait beaucoup à l’époque. Elles sont revenues du Louvre, où elles ont été déposées il y a quelques années dans la section islamique. Le choix se voit comme il se doit axé sur les arts décoratifs. Céramiques, verreries et textiles. A ces modèles originaux se superposent les créations signées par Cartier à Paris, puis bientôt à Londres et à New York. Une débauche de pierres, enchâssées dans des montures d’une extraordinaire perfection technique. Le plus étonnant reste cependant l’effet boomerang. Ce sont les princes indiens ou la Cour d’Iran qui ont le plus apprécié ces coûteuses imitations de leurs motifs traditionnels.

Jusque-là, tout va bien donc. Où je m’interroge davantage, c’est en voyant le MAD se transformer toujours davantage en vitrine du luxe français. La chose vaut pour la section des costumes, bien sûr, où règne depuis quelques semaines Thierry Mugler (je vous en ai parlé). Mais elle tient à se généraliser, et le colossal succès de la rétrospective Dior en 2017 (plus de 700 000 visiteurs) dans la grande nef n’y est pas pour rien. L’institution dirigée par Olivier Gabet, candidat malheureux à la succession de Laurence des Cars au Musée d’Orsay, donne ainsi l’impression d’un espace à louer. Ce super «pop store» appartiendrait ainsi au plus offrant. Le public, qui s’en fiche il est vrai, ne sait du coup plus s’il se trouve dans un magasin ou un musée. Tout regard critique a disparu. Les visiteurs se retrouvent livrés à une marque. Même s’ils sont à mon avis pleinement consentants, il y a là comme un malaise.
Trop de choses rares
Ce sentiment aurait pu se voir évité dans «Cartier et les arts de l’Islam», sous-titré comme il se doit «Aux sources de la modernité». Des mots qui ne veulent plus rien dire. Il aurait fallu davantage de pièces islamiques anciennes et moins de bijoux, de nécessaires, de poudriers ou d’étuis à cigarettes. Et cela quel que soit le savoir-faire développé par les artisans de Cartier. Les plus gros harnachements, dont on ne sait plus trop s’ils ornaient le maharadja lui-même ou l’un de ses éléphants, auraient presque suffi. La présentation en serait ressortie plus équilibrée. Moins répétitive. Le précieux se doit de rester rare. Dans une vitrine du centre, le seul collier en forme de draperie commandé pour la duchesse de Windsor en 1947 se suffit à lui-même. Il règne en solitaire. Ce dépouillement aurait gagné à s’être vu généralisé.
(1) A Genève, Cartier s’est infiltré dans le Musée Baur en 2015. La maison parisienne se voyait alors confrontée en miroir avec la Chine.
Pratique
«Cartier et les arts de l’Islam», MAD, 107, rue de Rivoli, Paris, jusqu’au 20 février 2022. Tél. 00331 42 60 64 94, site www.madparis.fr Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h30. Réservation fortement recommandée, surtout les samedis et dimanches.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Exposition à Paris – La maison Cartier se déverse au MAD sous le signe de l’Islam
L’exposition croule sous les pierreries. Elle entend montrer l’influence des arts de l’Orient musulman sur une partie de la production depuis les années 1910.