
Le Quartier des Bains a longtemps fait parler de lui par ses ouvertures de galeries d’art contemporain. Elles poussaient comme des champignons dans les années 1990 et 2000. Puis est venue la décrue, alors que la Vieille Ville retrouvait paradoxalement un nouveau souffle. J’ai souvent dû vous annoncer un départ ou une fermeture: Red Zone, Pierre Huber, Jancou, Saks, Patricia Low, Ribordy, Ceysson ou plus récemment Laurence Bernard… Aujourd’hui, je vous confirme une arrivée, venant après celle toute récente d’Olivier Varenne. La Lausannoise Fabienne Lévy débarquera ces prochains jours. Le jeudi 16 mars, pour être précis. La femme ne quittera pas la capitale vaudoise pour autant. Elle tente l’aventure, jusqu’ici inédite, d’un double siège à Genève et à Lausanne, où son local se trouve il est vrai près de la gare. Voilà qui suscite des questions que je lui ai bien entendu posées.
«Dans un monde aussi globalisé que le nôtre, il faut savoir revenir à ses racines.»
«J’ai été collectionneuse, puis «art advisor» en conseillant les gens. Je ne suis devenue galeriste qu’en fin de quarantaine.» Nous sommes avenue Ruchonnet, à un jet de pierre de Plateforme10. «Un lieu idéal pour créer des synergies.» Fabienne Lévy s’est installée ici en 2019, transformant les lieux de manière audacieuse pour occuper deux étages dans une rue animée et populaire. L’art s’est ainsi fait une place près d’une agence de voyages, d’un bistrot ou d’un marchand de coucous, «excellent d’ailleurs». «J’ai éprouvé un coup de foudre pour l’endroit.» Il a cependant fallu tout casser. Déplacer l’escalier. Créer des murs. Soutenir par des colonnes le morceau de dalle subsistant d’un ancien salon de massage. Fabienne, qui n’a pas peur des mots, parle plutôt d’un bordel. Selon l’usage actuel, l’ensemble est resté assez brut. Ses sols tigrés à force de raccords font penser à ceux du Mamco. La directrice occupe sur une mezzanine un petit bureau, d’où j’ai une vue plongeante sur les passants. Certains jettent un œil à travers les vitrines. Fabienne Lévy montre jusqu’au 18 mars les dessins, tragiques et complexes, de l’Israélien Yuval Yairi. Un homme qu’elle avait déjà montré en 2019.

«Je suis née dans l’art», explique mon interlocutrice. Une tradition familiale, donc. Et puis, plus tard, est venue l’étonnante réussite commerciale d’une sœur aînée, obtenue à force de volonté et de travail. Après des débuts dont je me souviens en Suisse romande, Dominique Lévy dirige (ou codirige avec Brett Gorvy) des structures énormes à New York comme à Paris. «Une boule d’énergie». Plus calme, plus détendue aussi, Fabienne Lévy ne développe pas la même vision internationale. Ni le même appétit féroce. «Dans un monde aussi globalisé que le nôtre, il faut savoir revenir à ses racines. J’ai grandi à Lausanne. Je reste avant tout francophone. J’aime la vie de quartier.» C’était donc là qu’il lui fallait ouvrir quelque chose, même s’il échappe parfois à Fabienne un ou deux mots qui sonnent très «nouvelle économie». «On m’a souvent demandé pourquoi je ne créais pas une antenne aux Etats-Unis, ou au moins à Zurich. Mais ce n’est pas du tout mon genre.»

Après avoir inauguré son espace remodelé avec une exposition Andrea Galvani il y a quatre ans, Fabienne Lévy a donc labouré son terrain local tout en «faisant» des foires d’Artgenève à Chicago. Beaucoup de foires. Parfois même trop. «Mais comme je ne savais pas si je me verrais acceptée, j’ai énormément postulé.» Elle y a montré des artistes dans lesquels elle croyait. «J’ai besoin d’une affinité. Il me faut ressentir quelque chose que je pourrai partager avec le créateur ou la créatrice, puis en convainquant le public que j’entends me former.» Ces créateurs, Fabienne les a découverts seule, par recommandation ou, de manière plus moderne, sur les réseaux sociaux. «Je garde toujours mes yeux et mes oreilles grands ouverts.» La femme n’est pas une exclusive. «Je ne me lie pas avec des contrats en béton. J’en reste à la parole donnée. J’estime normal que les gens que je montre soient représentés ailleurs par d’autres.»

Est-elle pour autant la partisane d’une tendance ou du moins d’un courant? Apparemment pas. «Je me sens proche d’artistes très différents entre eux. Evidemment, je reflète un peu l’air du temps.» Un temps aujourd’hui voué à la peinture, longtemps déclarée morte, et à la figuration. «Il y a bien sûr des gens qui continuent dans le chemin de l’abstraction. Mais après avoir été dominants durant des décennies, ce sont eux qui sont devenus des isolés.» Fabienne Lévy se veut pour un art accessible, parlant à un public qui n’est pas forcément pointu. Pas de super célébrités chez elle comme chez sa sœur Dominique. La voie choisie est bien celle sinon de la découverte totale, du moins celle de l’affirmation régionale. «Cela me fait discuter avec les visiteurs de ma galerie, et j’aime beaucoup ça.»
«De toute manière, avec le bail que j’ai signé à Genève, j’en prends pour cinq ans!»
Ce travail avec des Lausannois, «qui incarnent une ville où l’on se montre souvent curieux et éveillé», ne suffisait pas. Il faut selon Fabienne penser romand, alors même que les soixante kilomètres séparant Genève de Lausanne semblent former à beaucoup une distance insurmontable. Surtout de Genève à Lausanne, du reste… «J’ouvre donc une seconde galerie aux Bains, afin de conférer à mes artistes une visibilité accrue. Je montrerai simultanément les mêmes dans les deux villes, avec ce que cela va supposer d’échanges d’idées.» La galeriste a trouvé sans peine un espace disponible. Il me semble déjà presque historique. Le 2, rue des Vieux-Grenadiers a successivement abrité Tracy Müller, Laurence Bernard et Joy de Rouvre. «Je modifie ici aussi les murs, les fenêtres et les surfaces afin de créer quelque chose de plus flatteur pour le regard.»

Les travaux ne seront pas tout à fait terminés pour l’inauguration prévue lors d’une «Nuit des Bains», le jeudi 16 mars. Fabienne Lévy me montre les photos de la métamorphose sur son portable, dont celles des planchers. Là également, les lieux se verront laissés dans un état «brut» en réalité très travaillé. «Ce sera pour moi une nouvelle expérience, avec une seconde équipe aussi réduite que celle de Lausanne. Deux ou trois personnes seulement.» Fabienne Lévy ne se fait pas trop de soucis pour l’avenir. «De toute manière, avec le bail que j’ai signé, j’en prends pour cinq ans!» Ah! Une dernière chose. Le 2, rue des Vieux-Grenadiers rouvrira ses portes (qui n’ont, elles, apparemment pas été déplacées) avec Vanessa Safavi. Une plasticienne de 42 ans. Née à Lausanne… où Fabienne Lévy l’a bien sûr déjà présentée. «Il faut savoir suivre ses artistes.»

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Galeries genevoises – La Lausannoise Fabienne Lévy s’installe aux Bains
La femme avait ouvert un espace près de Plateforme10, qu’elle gardera. Elle veut fédérer les deux villes romandes autour d’artistes communs.