Innovation alimentaireLa grande ruée vers les protéines alternatives
La Suisse se profile sur un marché qui devrait atteindre 140 milliards de dollars d’ici à dix ans. Plusieurs sociétés travaillent sur ces nouvelles formes de protéines.

Algues, pois jaunes, okara, champignons, levure… la liste des produits destinés à remplacer les protéines animales s’allonge chaque jour, tout comme celle des acteurs qui veulent participer à ce marché. Celui-ci atteindra 140 milliards de dollars d’ici à dix ans, selon une estimation de la Banque Barclays.
22% de protéines alternatives en 2035
En 2020, au niveau mondial, 75 kilos de protéines d’origine animale ont été consommés en moyenne par personne. Ce chiffre va progresser face à l’accroissement démographique et à l’augmentation du niveau de vie dans certains pays. Il faudra nourrir en 2050 quelque 10 milliards d’individus et produire 60% de nourriture en plus par rapport aux niveaux actuels. Pourtant, les terres arables ne cessent de diminuer. En parallèle, l’industrie des protéines carnées est responsable de 15% des gaz à effet de serre mondiaux et constitue la cause principale de la déforestation. Plus encore, produire une unité de viande génère 40 fois plus de CO2 qu’une unité de protéine végétale.
D’ici à 2035, lorsque les protéines alternatives auront atteint la parité de goût, de texture et de prix avec les protéines animales conventionnelles, 22% de la viande, des fruits de mer, des œufs et des produits laitiers consommés dans le monde seront très probablement des protéines alternatives, contre 2% actuellement. D’ici là, l’Europe et l’Amérique du Nord auront atteint leur pic de viande et la consommation de protéines animales commencera à diminuer, selon un rapport de Food for Thought: The Protein Transformation.
280 acteurs de la foodtech
En Suisse, l’industrie alimentaire, plusieurs start-up et les milieux académiques ont choisi de se positionner dans ce marché des protéines alternatives. «Le pays a la chance d’avoir su réunir énormément de compétences sur un petit espace. Potentiellement, le pays peut devenir un exemple pour l’ensemble de la planète et servir de démonstrateur», estime Christian Nils Schwab directeur de l’Integrative Food & Nutrition Center (IFNC), à l’EPFL.
Selon l’association Swiss Food & Nutrition Valley, la Suisse compte plus de 280 acteurs dans l’écosystème foodtech, dont 166 start-up. Plusieurs incubateurs, mais aussi des centres de recherche, figurent dans le paysage helvétique. Cet écosystème est soutenu par l’industrie agroalimentaire. Chez Nestlé, les substituts de viande ont aussi la cote. Dans ce secteur, le chiffre d’affaires du groupe veveysan s’élève déjà à 700 millions de francs, avec un taux de croissance à deux chiffres. Par ailleurs, lors de la vente de sa filiale Herta (charcuterie), le géant de l’agroalimentaire a conservé son assortiment de produits végétariens, comme les steaks véganes commercialisés sous la marque Gate Gourmet.
Les poids lourds du secteur s’organisent également: le géant des arômes Givaudan, le leader de la fabrication de machines pour l’industrie agroalimentaire Bühler et Migros ont fondé une nouvelle entité, le Cultured Food Innovation Hub, à Kemptthal près de Zurich, afin d’accélérer le développement et la mise sur le marché de nouveaux produits. Cette structure sera équipée de capacités destinées à la culture cellulaire et à la biofermentation pour aider les jeunes entreprises à développer d’autres solutions alternatives aux protéines animales. Car la fermentation microbienne offre la possibilité de fabriquer une variété de produits semblables à ceux d’origine animale, issus, par exemple, de la culture de mycélium – l’appareil végétatif des champignons – ainsi que de levures. La start-up Planetary, à Genève, veut d’ailleurs devenir un acteur mondial de ce procédé.
Planted a doublé sa capacité de production
Ainsi, le marché des protéines alternatives attire de plus en plus d’investisseurs. Les données publiées par le Good Food Institute révèlent que les entreprises européennes actives dans ce domaine ont reçu un financement de plus de 2,2 milliards d’euros en 2021. Fondée en 2019, à Kemptthal, Planted s’est quant à elle classée première dans le top 100 des start-up suisses l’an dernier. En un temps record, elle a réussi à engranger 45 millions de francs et de nouveaux financements sont prévus. L’entreprise, qui fabrique des protéines végétales à partir de pois jaunes, compte plus de 170 collaborateurs. Elle a doublé sa capacité de production à une tonne de succédanés de viande chaque heure et une nouvelle usine sera construite en Europe d’ici à 2023. «Nous vendons nos produits aussi bien en France, en Grande-Bretagne, en Autriche qu’en Allemagne», note Pascal Bieri.
«Je crois fermement que l’avenir alimentaire passera par ces protéines et nous nous réjouissons de pouvoir y contribuer.»
Des entreprises traditionnelles ont aussi fait le choix des protéines végétales. C’est le cas, par exemple, de Bossy Céréales, à Cousset (FR), près de Payerne. Fondée en 1852 et spécialisée dans la production de denrées à base de céréales –- comme les mueslis les granolas ou le boulgour –, l’entreprise possédait à l’origine un moulin pour traiter le blé des agriculteurs de la région. Désormais, elle met la priorité sur les substituts à la viande. «Je crois fermement que l’avenir alimentaire passera par ces protéines et nous nous réjouissons de pouvoir y contribuer, a annoncé, début mai, Simon-Pierre Kerbarge, directeur de l’entreprise, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle usine. Par rapport à la production de viande animale, les protéines végétales texturées ont un bien meilleur bilan carbone et sollicitent notamment 25 à 30 fois moins d’eau.»

Le moulin de Cousset a été entièrement détruit par un incendie en août 2016. Seul un imposant silo de 58 mètres a pu être conservé. Depuis, plus de 35 millions de francs ont été investis dans un nouveau site industriel de plus de 12 000 m2. La société a fait l’acquisition de plusieurs extrudeuses par voie sèche dans lesquelles sont introduits petits pois, tournesol, avoine ou soja qui prendront, dans nos assiettes, la forme d’émincés, de nuggets, de bolognaise végétale ou de farine protéinée. Un cuiseur-extrudeur combine plusieurs opérations (mélange, pétrissage ou cuisson avec apport d’énergie mécanique). La texture souhaitée est obtenue en modifiant la teneur en eau ou les apports en énergies mécanique et thermique.
«Nous sommes en phase d’expansion face à une demande croissante de la part de l’industrie pour ces solutions alternatives aux protéines animales.»
La société Planted, par exemple, s’approvisionne, en partie, chez Bossy Céréales pour en faire des produits protéinés végétariens. «Nous fournissons du sur-mesure tant en matière de textures que de composition, selon les demandes des clients», précise Marc Folli, directeur des opérations de Bossy Céréales. L’entreprise, qui emploie 24 personnes, prévoit de quadrupler sa capacité de production à plus de 20 000 tonnes par an et souhaite créer entre 30 à 40 emplois supplémentaires à l’horizon 2023-2024. «Nous voulons nous positionner d’ici à 2025 comme l’un des principaux acteurs dans le domaine de l’extrusion des protéines végétales texturées par voie sèche, sur les plans national et européen.»
Le chiffre d’affaires devrait se situer entre 10 et 20 millions en 2023-2024. Les protéines végétales texturées devant en représenter la majorité. «Nous sommes en phase d’expansion face à une demande croissante de la part de l’industrie pour ces solutions alternatives aux protéines animales, ajoute Marc Folli. Nous faisons des essais sur d’autres types de protéines végétales et avons, par exemple, développé un produit réalisé à partir de tournesol. L’avantage réside dans son goût très neutre et beaucoup moins amer que celui fait à partir de petits pois.» Les poudres de Bossy Céréales pourraient également se retrouver dans des produits laitiers pour les enrichir en protéines, mais aussi dans des saucisses carnées. Une partie de la viande serait alors remplacée par ces protéines végétales.
Des algues ou de l’okara
Toujours au chapitre des innovations: Mirai Foods, à Wädenswil (ZH), fait pousser de la viande à partir de cellules souches; la société vaudoise Alver transforme les micro-algues en aliments protéinés, alors que Luya Foods, à Zollikofen (BE), développe d’autres solutions alternatives à la viande à partir d’okara. Il s’agit d’un sous-produit de la production de tofu et de lait de soja, dont plus de 14 millions de tonnes sont gaspillées chaque année dans le monde malgré sa haute valeur nutritionnelle et sa teneur en fibres.
Luya Foods a mis au point un procédé pour transformer l’okara en différents aliments. Les premiers produits sont des galettes pour hamburgers et des morceaux prêts à cuire. Grâce à son procédé, Luya évite les additifs et les isolats de protéines hautement transformées. Spin-off de la haute école spécialisée bernoise, elle a reçu plusieurs soutiens. La start-up travaille avec des producteurs suisses qui lui fournissent un okara produit à base de fèves de soja biologique provenant de Suisse et d’Italie. Lors de ce processus, les fèves sont trempées, moulues et pressées. Le liquide qui en résulte est vendu comme lait de soja ou transformé en tofu. Les résidus solides restants – l’okara, justement – sont valorisés en succédanés de viande.
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