
C’est ce qu’on appelle une exposition de poche. Une présentation parfaite pour ceux que les grandes machines impressionnent et fatiguent. Le Musée d’Orsay a reçu quatre peintures de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903). Un prêt exceptionnel. Accompagnées de pastels et des fameuses gravures représentant Venise, elles proviennent de la Frick Collection de New York. Vous me direz que cette institution prête parfois, le Mauritshuis de La Haye ayant même obtenu en en 2015 suffisamment d’œuvres pour remplir ses salles temporaires. Je vous en avais du reste parlé à l’époque.
Un «tycoon» détesté
Alors pourquoi s’agit-il ici d’un dépôt rarissime? Pour une raison simple, quoique apparemment compliquée. La Haye avait obtenu des peintures, des sculptures et des objets acquis par la Collection après que la fille de Henry Clay Frick (1849-1919) a repris les rênes après la mort d’un père autoritaire et sans doute détesté. Elle et les donateurs qui l’ont suivie avaient prévu des prêts possibles, alors que le patriarche s’y était refusé par clause testamentaire. Il faut dire qu’on ne plaisantait pas avec le «tycoon», venu de Pittsburgh à New York quand la Pennsylvanie était devenue un peu trop chaude pour lui. L’industriel était une sorte de monstre, responsable de la mort de milliers d’hommes. A côté de lui, notre Georg Emil Bührle national semblerait un ange avec de petites ailes dans le dos.

Or c’est Henry Clay qui a connu et apprécié Whistler, dont il a acquis un nombre de pièces conséquent, même si nous restons loin ici de la précieuse accumulation en toiles de l’artiste à la Freer Gallery de Washington. Il aura fallu que son musée privé entre en travaux sur la Cinquième Avenue pour qu’il se voit vidé. Je vous ai dit qu’une partie de son contenu se voyait présenté, en attendant la réouverture, dans un bâtiment brutaliste en béton de Marcel Breuer sur Madison Avenue. Une mise en scène bien différente de celle, très «cosy», d’un hôtel particulier construit dans le genre du XVIIIe. Mais tout n’y est pas entré. D’où la tentation d’une escapade parisienne. Hasard de la géographie urbaine, Orsay se trouve du reste tout près du 110, rue du Bac, où le très cosmopolite Whistler a vécu de 1892 à 1901.
Une grande salle grise
Une grande salle grise, au rez-de-chaussée du Musée d’Orsay, abrite donc au fond trois grands portraits que l’artiste, selon son habitude, qualifie d’«harmonies» ou de «symphonies». D’un caractère extrêmement difficile, l’Américain ne se prenait pas pour la queue de la cerise. On connaît le procès qu’il fit au critique britannique John Ruskin pour avoir qualifié un de ses paysages de «pot de peinture jeté à la tête du public». Au tribunal, le peintre a admis qu’il avait passé quelques heures seulement à cette toile. Mais cette dernière reflétait aussi «l’expérience de toute une vie». On a connu plus modeste. La carrière de ce natif du Massachusetts, qui a passé par Paris, Venise et Londres, est par ailleurs émaillée de brouilles, dont une célèbre avec Oscar Wilde. Il y a eu là des mots et des maux (1).

Terriblement dandy et à l’occasion trafiquant d’armes, Whistler ne s’en est pas moins voulu peintre jusqu’au bout des ongles. Il a ainsi accompagné l’impressionnisme, tout en digérant en pionnier l’influence japonaise. La chose se retrouve dans les portraits exposés (dont celui du poète mondain Robert de Montesquiou tenant, pour donner une touche de gris, le manteau de chinchilla de sa nièce, la fameuse comtesse Greffulhe), comme les œuvres sur papier. Notons qu’Orsay propose, afin de compléter l’accrochage, les quelques œuvres du maître en sa possession. Ce petit ensemble comprend cependant ce qui reste sans doute la toile la plus célèbre de son auteur. Vendue bon marché par Whistler, qui voulait se voir représenté au Musée du Luxembourg (qui servait alors à montrer en France l’art contemporain), «La Mère» a été reproduite d’innombrables fois. Il s’agit d’une véritable icône. Qui ne connaît pas l’image de cette femme de profil regardant dans le vide, comme elle aurait regardé plus tard la télévision (2)?
Première exposition à Paris depuis 1985
L’ensemble demeure bien sûr lacunaire. Il n’en s’agit pas moins d’une occasion rare de voir Whistler hors des Etats-Unis, la Grande-Bretagne ne conservant finalement pas grand-chose de sa main. Je me souviens bien d’une grande rétrospective dédiée au maître. Elle avait eu lieu au Grand Palais. C’était en 1985. Il y a donc vingt-sept ans. L’espace d’une grosse génération. Je l’avais vue. Le temps passe vite… (3)

Je terminerai en disant que ce choix de Whistler fait encore partie des projets menés à bien par Laurence des Cars quand elle dirigeait Orsay. Entré en fonction à sa place en 2021, Christophe Leribault ne pourra mener sa propre politique qu’en 2023. La dame a «bétonné», comme on dit. Le Boldini du Petit Palais, dont je vous parlerai bientôt, reste en revanche son œuvre, et non celui de l’actuelle directrice Annick Lemoine. Ce sont là les gaietés des rotations au plus haut niveau. Notons au passage que Boldini reste l’auteur du meilleur portrait de Robert de Montesquiou, jouant avec sa canne. Nous restons dans le même milieu. Montesquiou esthète pourrait du reste tout aussi bien faire l’objet d’une troisième exposition.
(1) Les mémoires de l’artiste, parus en 1890, s’intitulent d’ailleurs «The Gentle Art of Making Enemies».
(2) C’était elle qui s’appelait McNeill. Son fils mettra son nom en évidence.
(3) Il faudra moins attendre une suite. Sylvain Amic prépare pour le Musée des beaux-arts de Rouen un «James Whistler et l’Europe, L’effet papillon». Exposition en 2024.
Pratique
«James Abbott McNeill Whistler», Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, Paris, jusqu’au 8 mai. Tél. 00331 40 49 48 14, site www.musee-orsay.fr Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, le jeudi jusqu’à 21h45.
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Exposition à Paris – La Frick de New York prête ses Whistler à Orsay
Les travaux ont permis le déplacement d’œuvres ne sortant en principe pas du musée. Orsay les a réunies avec ce qu’il possède du grand peintre américain.