En août 2019, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des État avait posé une question concrète au Conseil fédéral : comment la Suisse peut-elle rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris ?
Cette Commission relayait le terrible constat du premier test PACTA constatant la (non) compatibilité des flux financiers avec les engagements pris par la Suisse dans le cadre de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5 degré. En effet, la trajectoire prise par la place financière suisse projetait alors un réchauffement entre 4 et 6 degrés.
En juin 2020, le Conseil fédéral passait sous silence cette affreuse réalité et martelait dans son rapport sur la finance durable que la place financière suisse deviendrait l’un des principaux centre mondiaux de services financiers durables.
En novembre dernier, un rapport sur la comptabilité climatique du marché financier a été publié par le Conseil fédéral lequel tente de répondre à la question posée en août 2019.
Pas de copier-coller européen
L’Union européenne a mis en place dès 2021 un corpus de règles contraignantes dans le domaine de la finance durable. Elle a notamment adopté le Règlement (UE) 2019/2088 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers duquel découle une obligation de transparence pour ses acteurs. Un second règlement sur la taxonomie prévoit un système de classification des produits financiers durables, permettant alors que les informations publiées soient comparables d’un établissement à un autre.
Bien que le Conseil fédéral relève l’importance de la transparence et de la publicité dans le cadre de la lutte contre l’écoblanchiment, aucune réglementation similaire en Suisse n’est pour l’heure envisagée.
On peut tout de même saluer les efforts de la FINMA qui a récemment mis en avant sa volonté de protéger les investisseurs quant à la prétendue durabilité de certains produits et services financiers par la publication quelques lignes directrices au sujet du greenwashing existant.
Mais comment espérer prévenir, surveiller et sanctionner l’éco-blanchiment en l’absence d’un cadre juridique permettant à toutes et tous de connaître les règles du jeu ?
Accords sectoriels
La solution préconisée par le Conseil fédéral consiste en la conclusion d’accords sectoriels avec les acteurs du marché. Il considère que ce mode de procéder permettra de trouver des solutions d’un commun accord avec les milieux économiques.
Si certains acteurs financiers apparaissent demandeurs de tels accords et enclins à une réelle prise en compte de l’impact de la finance sur l’habitabilité de notre planète, d’autres demeurent figés dans une approche d’un autre temps, celle de l’unique prise en compte des risques financiers liés au climat (à savoir les risques que le changement climatique fait peser sur les investissements mais non l’inverse).
L’écart entre la publicité faites par certains établissements financiers et la réalité ressortait notamment du Test PACTA de 2020 : bon nombre d’établissement financiers ayant déclaré ne plus investir dans le charbon ne tenaient en réalité pas leurs promesses. De même, les récentes études de Greenpeace ainsi que de la RTS et TTC démontrent que les fonds durables proposés aux clients s’avèrent bien moins verts qu’annoncés.
Le Conseil fédéral préconise le dialogue avec les quatre associations de branches (ASB, ASA, ASIP et AMAS). Mais que peut-on réellement espérer de ces accords ? Plus de transparence, une participation obligatoire aux prochains tests PATCA et la publication détaillée des résultats ? Il s’agirait certes d’un point de départ mais largement insuffisant.
Dans le domaine économique, la politique suisse repose sur la primauté des solutions relevant de l’économie de marché, l’action publique est subsidiaire. Mais laisser la gestion de l’impact de la place financière suisse sur notre avenir à ses acteurs traduit un manque de courage et de prise de conscience de l’urgence de la part de notre gouvernement.
Contenu minimum
Ces accords sectoriels devraient a minima clarifier qu’une approche fondée sur les risques financiers découlant du changement climatique n’est pas synonyme de finance durable.
Les incidences sur le climat des activités commerciales des établissements et donc de leurs produits financiers doivent faire l’objet d’une publication explicite et complète. Cette transparence doit permettre aux investisseurs de comparer ces données entre les établissements financiers.
Les dés sont désormais jetés.
Espérons que notre secteur financier saura se montrer à la hauteur des responsabilités qu’il lui incombe et surprendra par l’ampleur et la rapidité de ses engagements.
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Finance durable – La finance durable passera-t-elle par les accords sectoriels ?
Aucune réglementation similaire à celle de l’Union européenne ne semble envisagée pour l’heure en Suisse qui fait le choix de laisser les acteurs du marché financier définir leurs propres règles