La décision de Berkshire Hathaway de réduire de 86% sa participation dans Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) illustre l’inquiétude croissante sur les tensions entre la Chine et Taïwan. Cette nouvelle est arrivée après une longue crise diplomatique entre les États-Unis et la Chine - la «crise des ballons» - qui a conduit le secrétaire d’État américain, M. Blinken, à annuler son voyage prévu à Pékin.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui entre dans sa deuxième année, a également rappelé au monde que les conflits armés entre États restent un risque tangible, et que ces conflits peuvent avoir de profondes retombées économiques sur les marchés mondiaux. Ensemble, ces différentes crises ont conduit à une réévaluation des chances de conflit sur la question de Taïwan. Le risque de guerre, bien que non négligeable, est à notre avis réduit par trois facteurs.
Premièrement, bien que l’économie et le PIB de la Chine soient moins dominés par les exportations que dans la période précédant la crise financière de 2008-2009, c’est elle qui risque de perdre le plus en cas de guerre. La part du PIB chinois constituée par les exportations de biens et de services a atteint un pic de 36% en 2006, avec la restructuration de l’économie après la crise en réponse à un ralentissement du commerce mondial. En 2021, cette même part sera de 21%, ce qui représente une baisse significative par rapport au pic atteint, mais reste un risque important, notamment parce que 45% des exportations chinoises sont destinées à des pays occidentaux qui sanctionneraient la Chine si une guerre devait éclater en raison d’une agression chinoise contre Taïwan.
À titre de comparaison, les exportations représentaient 11% du PIB des États-Unis en 2021, les exportations vers le Canada, le Mexique, le Japon et l’UE représentant à elles seules plus de 40% des exportations américaines. Par conséquent, il est logique que la Chine souffre proportionnellement à sa dépendance accrue vis-à-vis de l’Occident.
Deuxièmement, une invasion chinoise conventionnelle de Taïwan semble avoir peu de chances de réussir. Un rapport récent du Center for Strategic & International Studies, dans lequel un assaut amphibie chinois sur Taïwan a été modélisé vingt-quatre fois, suggère qu’une coalition États-Unis-Taïwan-Japon réussirait à repousser une force d’invasion chinoise, mais à un coût élevé pour les deux parties. Ces coûts vont au-delà des dizaines de milliers de vies, de navires et d’avions qui seraient perdus. En effet, cet exercice de simulation suggère qu’un conflit armé entre la Chine et une coalition États-Unis-Taïwan-Japon nuirait considérablement à la position des deux parties pour les années à venir.
Pour les États-Unis, cet affaiblissement stratégique résulterait de la perte de navires, qui paralyserait la capacité des États-Unis à projeter leur force dans les eaux internationales. Pour les Chinois, une invasion ratée de Taïwan pourrait bien déstabiliser le parti communiste, qui insiste depuis longtemps sur le fait que la «réunification» avec Taïwan avant 2049 (le centenaire de la fondation de la République populaire) serait un marqueur de la réussite du modèle chinois.
Troisièmement, les Taïwanais ne se dirigent pas vers l’indépendance. Entre 1994 et 2022, les enquêtes sur les opinions politiques des Taïwanais ont montré qu’ils s’identifient de plus en plus comme "Taïwanais" et non comme «Chinois» - un marqueur linguistique important qui montre que l’identité "taïwanaise" se distingue de plus en plus de celle des Chinois du continent. Cependant, et malgré les tensions de ces dernières années, en 2022, seuls 5% des Taïwanais souhaitent "l’indépendance dès que possible", contre 3% en 1994. En revanche, plus de la moitié des Taïwanais souhaitent maintenir le statu quo temporairement ou indéfiniment. Par conséquent, il semble peu probable que l’État chinois se sente obligé d’attaquer pour empêcher une revendication d’indépendance de Taïwan en l’absence d’une déclaration d’indépendance.
Bien que la réunification avec Taïwan reste l’une des priorités stratégiques de Xi Jinping, les réalités économiques d’une invasion chinoise la rendent peu probable à court terme. Après la fin abrupte de près de trois ans de «Zéro Covid», les perspectives économiques à court terme de la Chine sont incertaines. À plus long terme, la baisse du taux de natalité pourrait obliger la Chine à modifier son modèle de croissance économique, en s’écartant des hypothèses de forte croissance. Dans ce contexte d’incertitude démographique et économique à moyen terme, une guerre dans le détroit de Taïwan pourrait être plus coûteuse que bénéfique.
*Article corédigé avec Marc-Antoine Manzoni

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Géopolitique – La coûteuse invasion de Taïwan
Bien que la réunification avec Taïwan reste l’une des priorités stratégiques de Xi Jinping, les réalités économiques d’une invasion chinoise la rendent peu probable à court terme.