
C’est le musée d’art moderne d’Avignon. Depuis 2000, année où la cité des papes se retrouvait capitale européenne de la culture (en compagnie de huit autres villes, il est vrai…), la Collection Lambert occupe l’ancien Hôtel de Caumont (1), rue Violette. Il a cependant fallu du temps, et donc des contretemps, pour que l’institution se pérennise et se développe. Yvon Lambert était prêt à donner des centaines d’œuvres acquises par lui depuis la fin des années 1960. Mais il exigeait davantage d’espace. La Municipalité s’est fait tirer l’oreille pour lui accorder l’Hôtel de Montfaucon voisin. Il y a eu des passes d’armes. Finalement, Avignon a cédé, tandis que le galeriste offrait à l’État plus de 500 pièces représentant des dizaines de millions. Voire des centaines. Il a pour cela fallu l’accord de sa fille, qui se serait autrement retrouvée lésée.
Une galerie d’avant-garde
Dûment restaurés, les bâtiments jumeaux du XVIIIe siècle accueillent depuis 2015 les visiteurs dans un cadre rappelant un peu celui de l’ex-Hôtel Salé, où se trouve à Paris le Musée Picasso. En plus convivial. La grande cour abrite un restaurant où le public peut paresser à la provençale après sa visite. Il faut dire que le propos se révèle nettement plus aride, d’où un besoin de rafraîchissements. Dès 1967, Yvon Lambert (qui avait fondé sa maison à trente ans en 1966) s’est spécialisé dans l’avant-garde américaine. Avant tout le minimalisme, qui effrayait alors un peu. Il en est allé ainsi, avec des exceptions tout de même, jusqu’à sa retraite en 2014. Autant dire que les visiteurs (et visiteuses) vont devoir avaler beaucoup de biscuits secs. La Collection Lambert, que ce soit dans son fonds propre ou lors de ses expositions temporaires, ne va pas aller vers la facilité. Nous sommes là, en dépit de la chaleur et des cigales, dans un monde plutôt austère, avec d’énormes murs dessinés par les disciples de Sol LeWitt. Le lieu bénéficie en plus de nombreux prêts permanents du même genre. Yvon Lambert a su faire école!
Artistes locaux
Cet été, le musée avignonnais propose trois expositions. Le lieu n’aime pas les grandes choses monographiques, comme le MO-CO d’Avignon dont je vous reparlerai bientôt. Ces propositions se glissent dans un parcours conçu de manière intelligente. On sait que les collections dites permanentes se voient aujourd’hui délaissées par la foule. Le temporaire prime. Il donne l’idée d’événement. Pour accéder à ces présentations temporaires, le public doit donc d’abord traverser rue Violette les salles où se voient accrochées des pièces appartenant au fonds, ou qui lui sont confiées. Une manière comme une autre de montrer ceux qui sont devenus de nouveaux classiques, mais aussi des artistes contemporains moins connus. Beaucoup se révèlent liés à la région. Jérôme Taub est d’Avignon. Hamid Maghraoui de Nîmes.
«Epiphanies»
Après ce cheminement initial (dont a été retirée pour cause de scandale sexuel l’installation de Claude Lévêque occupant les galetas), arrivent donc les expositions. Il y a celle dédiée à Jean-Charles Blais, né en 1956. Un vieux complice d’Yvon Lambert, bien que strictement figuratif. Notons que ce peintre, qui travaille sur de vieux papiers accumulés, n’a jamais plu qu’aux Français. Ann Veronica Janssens se voit aussi honorée avec une immense installation éclairée par vingt-deux fenêtres. La Belge se situe «entre le crépuscule et le ciel», même si le soleil tape en ce moment dur à Avignon. La présentation la plus importante reste tout de même celle dédiée à Dan Flavin. Elle porte un titre ronflant: «Epiphanies». Je vous rappelle à tout hasard qu’il s’agit là d’un mot théologique ayant fini par prendre le sens d’«illumination». La chose convient parfaitement à Flavin, qui commença par être séminariste…
Des produits industriels
On connaît le principe des créations de Flavin, mort en 1996 à 63 ans. L’Américain a utilisé dès 1963 les tubes de néon comme seul matériau. Aucun d’entre eux n’a été créé spécialement pour lui. L’homme achetait ceux se trouvant dans le commerce, avec les dimensions et l’échantillonnage restreint de couleurs que cela supposait. Flavin en a fait des barres superposées, des grilles ou des croix. Aucune forme exubérante! Nous sommes, je vous le rappelle, dans le minimalisme. Il s’agit donc d’un jeu de formes élémentaires, de teintes franches et d’éclairages diffus. De telles pièces créent fatalement des auras lumineuses. La chose joue parfaitement à la Collection Lambert, où les grandes chambres se retrouvent nimbées jusqu’au plafond de jaune, de rose ou de vert. Peu de pièces par salle, bien sûr. Elles se nuiraient vite les unes aux autres. Il faut à Flavin beaucoup de vide. C’est sa manière à lui de s’approprier les espaces.
Non à l’échantillonnage
Pourquoi cette exposition Flavin apparaît-elle particulièrement réussie, comme le fut il y a quelques années celle ici dédiée à Ellsworth Kelly? La réponse semble simple. C’est parce que l’artiste n’entre pas en conflit avec ses pairs. Trop souvent, Flavin se voit mis en compétition avec Carl Andre, Sol LeWitt ou Donald Judd. C’est le principe des musées d’art contemporain, qui offrent des échantillonnages. Il leur faut montrer qu’ils possèdent de tout un peu. Or tout ne va pas avec n’importe quoi! Le principe des créateurs actuels est en plus de vouloir toute l’attention pour soi. Flavin ne va donc selon moi vraiment bien qu’avec Flavin. Il peut alors se présenter comme un tout. Un univers. Cette situation privilégiée lui est offerte pour quelques mois la Collection Lambert. Elle a emprunté pour l’occasion douze pièces monumentales, créées entre 1964 et 1996, à David Zwirner. Le galeriste historique de Flavin. L’homme a usé de sa «courtesy». Une idée en tous points lumineuse. Treize œuvres en tout (la dernière vient de Saint-Etienne Métropole), cela suffit pour réussir une telle rétrospective. Davantage eut semblé redondant. A la Collection Lambert, on sait se militer à l’essentiel.
(1) L’autre Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, abrite également un lieu d’exposition plutôt voué aux œuvres classiques.
Pratique
«Dan Flavin, Epiphanies», Collection Lambert, 5, rue Violette, Avignon, jusqu’au 9 octobre. Tél. 00334 90 16 56 20, site www.collectionlambert.com Ouvert tous les jours de 11h à 19h en juillet et août. Dès septembre, fermé le lundi.
P.S. J’ai ôté le 26 juin les illustrations primitivement liées à cet article pour des raisons de droits.
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Expositions à Avignon – La Collection Lambert met Dan Flavin en lumière
Le minimaliste américain se détache des autres présentations du musée d’art contemporain. Il y a là treize de ses installations en tubes de néon.