
On l’a longtemps attendue Chaque année promettait l’ouverture au public pour la suivante. Les panneaux du chantier, rue Vivienne à Paris, perdaient peu à peu de leurs couleurs. Ils se décatissaient. Les amateurs ont fini par arrêter d’espérer. Le «nouveau musée» de la Bibliothèque nationale de France (BNF) tenait du mirage. Les cabanes des ouvriers étaient posées pour l’éternité des façades baroques de l’ancien Hôtel Tubeuf. Des bruits fâcheux confortaient cette opinion d’inexistence. Si j’en crois ma mémoire et les articles en ligne de «La tribune de l’art», la bibliothèque aurait connu plusieurs départs d’incendie (2013 et 2017) ainsi qu’une menace d’inondation. Voilà qui ne me semble pas bon pour les œuvres sur papier… Non seulement il n’y aurait du coup pas de nouvelles salles, mais le public ne reverrait pas le contenu des anciennes, avec notamment le «trône de Dagobert». Vous savez. Le roi mérovingien de la chanson qui a mis «sa culotte à l’envers».
Disparition crainte
Et puis, après onze ans de travaux, le «site Richelieu» a rouvert les 17 et 18 septembre derniers à l’occasion des Journées françaises du patrimoine. Dire qu’il était tout à fait prêt demeurerait sans doute exagéré. Les façades de la cour côté rue de Richelieu, dont l’une a été construite au XVIIIe siècle par l’illustre Robert de Cotte, restent encore bien noires. Le sol attend aussi ici un nouveau pavement. La BNF allègue le manque de temps et d’argent, ce qui peut sembler risible pour des gens ayant le sens d’un humour particulièrement noir. Les travaux ont englouti (même sans inondation!) des fortunes. Je ne suis pas arrivé à trouver de chiffres, dont beaucoup devraient sans doute se voir actualisés. Mais enfin le musée existe, chapeauté par Gennaro Toscano. Il est même visitable sans difficultés. Voilà qui tranche avec les bruits alarmistes de 2010, quand un projet annonçait sa disparition, alors que ses collections sont richissimes. Il suffit de penser aux 8000 objets antiques de très haut niveau donnés par le duc de Luynes en 1862!

L’entrée s’opère par la rue Vivienne en toute discrétion. Aucun panneau n’annonce (encore?) la nouvelle institution, à laquelle les visiteurs accèdent en traversant une cour transformée en jardin par le collectif MUGO dirigé par Gilles Clément. Une mise au vert qui doit encore un peu pousser. Heureusement qu’il pleut cet automne! Il n’y a plus qu’à franchir les portes menant à la billetterie. Les habitués vétérans reconnaîtront là l’ancienne entrée secondaire, la principale se trouvant jusqu’aux années 2000 côté Richelieu. Il s’agit d’une première déception. Le beau décor en marbres de couleurs Napoléon III, qui datait du temps où l’architecte Henri Labrouste avait rebâti le plus clair des bâtiments sur un grand pied et avec style, a été cassé. L’escalier que le public doit par la suite emprunter n’est pas le même non plus. Les degrés de marche en marbre de Jean-Louis Pascal ont été remplacés, après une véritable «bataille d’Hernani» entre les Anciens et les «Modernes», par un «geste architectural» de Bruno Gaudin. L’homme chargé de la rénovation en tandem avec Virginie Brégal. C’est un machin rond en métal d’une rare disgrâce. L’arrivant a l’impression de rentrer dans une boîte de conserve!
Des pièces uniques
Si ces premières notes semblent discordantes, la suite muséale due à Guicciardini & Magni Architetti rachète (presque) tout. L’ancien Cabinet des monnaies et médailles, où il n’y avait jamais personne, a perdu son affreuse mezzanine. Les volumes sont redevenus superbes. Le parcours se veut ici à la fois antique et thématique («mythes et cultes», «la magie»…). L’ensemble archéologique de la BNF, qui conserve notamment les grands lots d’argenterie romaine très anciennement découverts, apparaît ainsi richissime. La plupart de pièces présentées se trouvent depuis longtemps dans les collections, qui ne s’accroissent plus guère en ce domaine. Le Louvre voisin en prendrait ombrage. C’est en effet du même niveau. Parfois même supérieur. Il n’existe qu’un seul «Grand camée de France». Qu’un unique «Trésor de Tarse», donné en 1868 par Napoléon III (qui était très sensible à l’archéologie). Le «bracelet d’Aurillac» forme lui aussi un hapax (1). Tout cela brille de manière propre dans une lumière douce. Il semble loin, l’ancien cabinet, si poussiéreux qu’on hésitait à venir sans son aspirateur… Dommage que parmi les médailliers du XVIIIe revenus en place, il manque celui, fabuleux avec ses bronzes dorés, de Charles Cressent. Où a-t-il donc bien pu passer?

La suite fait passer par un espace consacré aux vases grecs du duc de Luynes («l’homme le plus riche de France et l’un des plus cultivés»), une salle vouée aux monnaies et médailles (qui sont devenues les parentes pauvres) et un salon ayant retrouvé son décor Louis XV d’origine (ou peu s’en faut). Il faut alors rebrousser chemin pour accéder à la Galerie Mazarine. Mieux vaut commencer par lever l’œil. Son plafond a été peint de mythologies dénudées au XVIIe siècle par Giovanni Francesco Romanelli, à qui l’on doit aussi ceux de l’appartement d’Anne d’Autriche au Louvre. Ce sont les derniers décors à l’italienne de l’époque survivant dans la capitale. On se croirait à Rome. Là, le parcours se fait chronologique et livresque. Nous sommes après tout dans une bibliothèque conservant quarante millions de volumes. Le cheminement devient de plus en plus sobre. Il commence par les plus beaux manuscrits enluminés, qui se verront changés trois ou quatre fois par an afin d’assurer leur conservation, pour se terminer avec ceux des grands auteurs actuels. La séduction fait place à la connaissance. Les notes pour «Le deuxième sexe» de Simone de Beauvoir ne dégagent en effet pas la même fascination visuelle que le grand globe céleste de Vincenzo Coronelli, livré à Louis XIV en 1693.

Dans ce decrescendo, le visiteur sent un peu qu’il en faut pour tout le monde. Vu que l’institution en possède beaucoup, il y a un costume de théâtre. Un seul. Il a servi pour un Eschyle monté par Ariane Mnouchkine en 1990. Toulouse-Lautrec et Steinlen représentent modestement l’affiche vers 1900. Ils illustrent à eux deux un département entier. Sonia et Robert Delaunay incarnent pour leur part les beaux-arts au service de l’édition. Le visiteur n’a alors plus qu’on emprunter un bel escalier des années 1930, conservé intact celui-là, pour se retrouver devant l’entrée de la Galerie Mansart. Elle accueille les expositions temporaires. La première se voit dédiée à Molière pour les 400 ans de sa naissance. Puis c’est la sortie, non sans avoir parcouru au passage l’immense Salle Ovale, fréquentée désormais autant par les chercheurs (qui ont du coup l’air de figurants) et le grand public. Il y a là des milliers de livres et de périodiques en libre consultation. Même des BD. Il s’agit d’apprivoiser à la lecture les nouvelles générations. Je dois dire que la restauration de la Salle Ovale de Jean-Louis Pascal me semble particulièrement réussie. Alors pourquoi ne pas avoir conservé l’escalier assorti à côté?
(1) Unique. Je peux utiliser un mot grec dans un tel contexte, non?
Pratique
«Bibliothèque nationale, site Richelieu», 5, rue Vivienne, Paris. Tél. 00331 53 79 59 59, site www.bnf.fr Ouvert le mardi de 10h à 20h, du mercredi au dimanche de 10h à 18h. Réservation possible, mais non nécessaire. La Salle Ovale est en libre accès gratuit.
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Patrimoine parisien – La Bibliothèque nationale ouvre enfin son musée
Après onze ans de travaux et bien des incidents, les salles sont visibles avec un parcours époustouflant. Livres, bien sûr, mais aussi archéologie.