
L’une compte exactement le double d’années que l’autre. C’est en 1992, à 30 ans, que Christine Ventouras a fondé Krisal à Carouge. La galerie n’occupait pas son emplacement actuel, mais un local plus petit, situé rue Jacques-Dalphin, si ma mémoire est bonne. La femme revenait de Paris,où elle avait travaillé dans le petit monde des enchères. Tout semblait facile à l’époque, en dépit de la crise de 1990. Il faut aussi dire que Christine, née à Genève en 1962, débordait d’énergie. Il lui en reste d’ailleurs énormément. Au 25, rue du Pont-Neuf qu’elle occupe aujourd’hui, on la remarque bien avant les œuvres qu’elle présente. Nous sommes avec cette bonne vivante rubénienne à des années-lumière du côté anorexique et silencieux que prend vite la création contemporaine… Je reviens du reste souvent chez Christine, qui vous remet d’aplomb son monde avec le bagout de la cartomancienne lié au flair du «psy». Consultation gratuite, en plus!

Il fallait à Krisal une spécificité, même si le site de la galerie (revu en 2020) précise que «les artistes que nous défendons n’appartiennent pas à un courant particulier (…) C’est plutôt l’impulsion qui régit nos critères de sélection.» Le goût profond de Christine va cependant à la photographie. Des images créées avant tout par des Romands, qui seraient un peu plasticiens mais pas trop. Ils vont de Philippe Pache, avec qui Christine (d’origine grecque, mais de type plus Melina Mercouri qu’Irène Papas) organise des «workshops» sur l’île de Santorin, à Jacques Pugin. Ou si vous préférez de Steeve Iuncker à Alan Humerose. La constellation a bien entendu bougé au fil du temps. Il y a eu des nouveaux venus suite à un coup de cœur et des départs après des embrouilles. Le monde égotique des créateurs doit se pratiquer des pincettes au bout de trois paires de gants. Or Christine n’a jamais eu la langue dans sa poche. Quelle idée du reste que de mettre une langue dans une poche…

Tout est donc bien parti pour Krisal, qui s’est agrandi en investissant rue du Pont-Neuf un espace plus vaste, qu’il me semble avoir connu il y a très longtemps comme salon de coiffure. Les accrochages se succédaient. Christine participait au Carrousel du Louvre à la foire Paris-Photo, qui en restait à ses débuts. On l’a aussi vue à Genève au salon ayant précédé à Palexpo l’actuel Artgenève avec un stand énorme. Puis les affaires se sont tassées. La femme s’adressait à un public qui subissait plus que d’autres les chocs économiques. L’art semblait désormais réservé aux plus riches. Christine, qui pilotait Art7 Carouge réunissant sept galeristes toutes féminines, se voyait amenée à faire des concessions. Les week-ends portes ouvertes (annuels, puis bisannuels) collectifs de l’association suscitaient parallèlement moins d’enthousiasme. Il y a eu des départs, dont celui de Christine, lassée de son rôle de cheftaine…

Sont ensuite venus les confinements. Il fallait repartir, avec si possible un peu d’optimisme dans une époque où il devient une denrée rare. Le vrai redémarrage a eu lieu en 2022. Plusieurs expositions (Christine en a organisé en tout 270) au programme, dont celle d’une Sylvie Buyssens passée à la peinture, de Pascal Bernheim, de Philippe Pache ou d’un Robert Popper sexuellement agressif avec «Power Woman». L’année peut se terminer sur le monde rétrospectif. L’idée de départ était de réunir sur le thème de «La tentation» les hommes et les femmes encore vivants montrés un jour chez Krisal avec une œuvre conçue ad hoc. Ils sont finalement une trentaine. «Certains ont joué le jeu, en respectant notamment les dimensions maximales que j’avais données pour ne pas déborder jusque dans les sous-sols. D’autres m’ont envoyé des pièces allant jusqu’à un mètre cinquante.» Le sujet demeurait assez vague pour avoir l’air d’avoir été respecté. Quant aux prix, ils se révèlent pour le moins divers. «Ils vont de 90 à 7030 francs.» Je n’ai pas osé demander à Christine le pourquoi de trente ajoutés aux sept mille. Chacun a droit à ses petits secrets.
Pratique
«Trente ans… Tentant», galerie Krisal, 25, rue du Pont-Neuf, Carouge, jusqu’au 24 décembre. Tél. 022 301 21 88, site www.krisal.com Ouvert du mardi au vendredi de 14h30 à 18h30, le samedi de 13h30 à 17h. Ouvertures exceptionnelles à Carouge en décembre le dimanche.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Galerie à Carouge – Krisal fête en décembre ses trente ans d’activité
Christine Ventouras a fondé ce lieu majoritairement voué à la photographie en 1992. Elle y a organisé en tout 270 expositions.