
C’est fini! Je vous avais déjà annoncé son départ. Mais c’était au détour d’une phrase. Je l’avais appris par une indiscrétion. La chose ne signifiait pas qu’il s’agisse là d’un secret, mais la nouvelle n’avait encore rien d’officiel. J’ai reçu le jeudi 3 novembre la confirmation de l’intéressée sous forme de courriel. Joy de Rouvre a bel et bien fermé sa galerie de la rue du 2, rue des Vieux-Grenadiers aux Bains. Sa dernière exposition restera une «collective» autour de la céramique contemporaine, qui s’est terminée le 22 octobre. Il s’agissait là d’une participation à l’intense effort mené autour du sujet à Genève cet automne. On est en ce moment céramique à tout casser.
Ancrage local
Joy de Rouvre déclare «ne pas tout vouloir arrêter». La galerie a «fermé ses portes physiquement». Sa propriétaire continuera ses activités d’une autre manière. On peut la joindre au 079 614 50 55, ou en lui envoyant un message à info@galeriejoyderouvre.com Elle continuera à représenter les mêmes artistes. Joy ne précise pas si elle continuera à faire des foires. Depuis 2018, elle participait en effet à Artgeneve. Tout récemment, elle a encore fait partie des gens exposant de manière éphémère dans un hôtel lausannois. Il faut dire que les gens qu’elle représente auront besoin de soutien. Joy restait la dernière à présenter sur ses murs autant d’artistes romands. Il y en a bien quelques-uns chez Xippas ou chez Skopia, mais ce n’est pas la même chose. La Française, née en 1977 à Paris, avait voulu un fort ancrage local quand elle avait ouvert boutique rue des Moraines à Carouge en 2014 avec comme peintre Christian Robert-Tissot. Fanatique de «murals», elle confiait même chaque fois ses parois à un artiste, qui exécutait une fresque éphémère. Il y en a ainsi eu une de Stéphane Dafflon, une autre de Christian Floquet ou une troisième de Dominik Stauch.

Joy de Rouvre mêlait certes les générations, mais elle suivait une seule ligne (tiens, je parle déjà à l’imparfait…) C’était celle d’une abstraction dure, formée de formes géométrisantes. D’où une certaine impression de répétition, même si elle a aussi montré la figurative Aimée Hoving. Après les premières années à Carouge, elle a émigré aux Bains. Ce fut un jeu de chaises musicales. Son espace, un ancien magasin avec arrière-boutique, avait été transformé pour Tracy Müller, qui avait un temps occupé rue des Bains une galerie fermée par Pierre Huber. Ce dernier était ensuite revenu et il lui fallait un point de chute. Tracy a ensuite quitté les Vieux-Grenadiers pour avoir un minuscule cagibi au Port Franc, puis rien du tout. Je me demande parfois ce qu’elle est devenue. Pierre a fermé définitivement par la suite. Laurence Bernard, qui avait repris le bail de Tracy Müller, s’est installée à sa place. La rue des Vieux-Grenadiers a lors passé à Joy. Laurence Bernard a tenu bon pendant quelques années, puis elle a jeté l’éponge début 2022, juste avant Artgenève. Je ne l’ai pas revue non plus depuis, même si elle avait alors déclaré continuer par d’autres moyens. J’espère que vous arrivez à me suivre dans ce dédale.

Ici, Joy a offert les mêmes artistes, avec quelques petits nouveaux venant s’intercaler parmi les anciens. On aura vu chez elle aussi bien Sylvain Croci-Torti que Jérôme Hentsch, Guillaume Pilet, Delphine Renault, Mai-Thu Perret ou les vétérans Olivier Mosset et John Armleder. Si on ne se fait guère de soucis pour ces deux derniers (Olivier est aussi chez Gagosian et John chez Caratsch), tout le monde n’a pas la chance du genevois Christian Floquet, aujourd’hui exporté partout grâce à Ceysson & Bénétière. Les carrières suisses demeurent fragiles, à l’heure où il y a sans doute trop d’artistes par rapport au marché local. Les musées et les fonds ne peuvent pas tous absorber comme des papiers buvards. Frédéric Gabioud, Sylvain Croci-Torti, Vincent Kohler, Hugo Pernet ou Delphine Renault demeurent des gloires locales. Tout reste bien sûr possible. Joy a tôt montré Claudia Comte. La Vaudoise (elle est de Morges) a fait depuis l’objet d’une grosse exposition au prestigieux Castello du Rivoli près de Turin. Mais il s’agit là de l’exception.

Pourquoi Joy arrête-t-elle? Bonne question. Sans doute par découragement. De même que Laurence Bernard a fermé sans trop de soucis financiers, la femme voit en effet ses arrières assurés. Il s’agit aussi de Madame Belloni, son mari portant le nom d’une des plus grosses entreprises de constructions romandes, fondée à Carouge en 1872 et par ailleurs la mère de leurs nombreux enfants. Mais elle n’avait rien pour autant de la grande commerçante, même si son site semblait sans doute le meilleur dans le genre à Genève. Elle s’intéressait davantage aux artistes qu’à ses clients potentiels. Rien à voir avec le bulldozer Alice Pauli. Il suffisait de la voir dans des foires ou dans sa galerie un soir de vernissage. C’était l’époux qui amenait le liant faisant prendre la sauce. Notons que si sympathique qu’ait pu sembler Laurence Bernard, elle non plus ne possédait pas ce côté «prise en charge» de la clientèle, qui aime bien se faire un peu materner. Une chose que possède à Genève au plus haut point une femme comme Rosa Turetsky ou Laura Gowen.

L’aventure, car un tel commerce en reste toujours une, pouvait donc se révéler au mieux honorable. Elle n’aurait jamais possédé le côté «bombe», avec tous les dégâts collatéraux que cela suppose, d’une trajectoire menée tambour battant. Je vous rappelle ainsi que Dominique Lévy, qui occupe aujourd’hui un hôtel particulier à New York et qui (associée à Brett Gorvy) s’est récemment lancée sur un très grand pied à terre à Paris, a commencé sa carrière dans un «dressing-room» genevois. Elle détenait il est vrai un joli carnet d’adresses…

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Galerie genevoise – Joy de Rouvre jette l’éponge aux Bains
Après Laurence Bernard, c’est elle qui s’en va. Joy avait commencé en 2014 à Carouge. La femme présentait avant tout des artistes romands.