
Un malheur n’arrive jamais seul. Il y a deux ans, le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MCB-a) organisait dans son tout jeune bâtiment de Plateforme10 un premier «Jardin d’hiver». La chose se voyait sous-titrée «Comment peut-on être (du village d’à côté) persan (martien)?» ce qui n’engageait pas à grand-chose. La simili spécialiste de l’art romand actuel Jill Gasparina était aux commandes. Je vous en avais parlé à l’époque, avec des mots sentis. Il me semblait difficile de faire pire que cette manifestation annoncée comme biennale. La chose succédait à plusieurs tentatives menées depuis le début des années 1970 pour montrer la scène locale, la dernière en date restant alors «Accrochage [Vaud]». L’essentiel résidait alors comme de bien entendu dans les crochets carrés. On se distingue comme on peut.
«Les artistes choisis se connaissent, travaillent côte à côte et partagent un espace culturel commun.»
Il était clair que la compresse allait se voir remise en 2023. Selon la formule adoptée (la même que celle des défuntes expositions du Musée Rath, vouées à la scène genevoise), le commissaire doit changer tous les deux ans. Le Lausannois Simon Würtsten Marin, qui a l’air d’un brave garçon, a donc succédé à Jill. C’était lui le nouveau maître d’œuvre dans la mesure où il n’y a pas de concours mais un fait du prince. Le commissaire vaudois choisit non seulement le thème, mais les participants. Voilà qui restreint singulièrement le cadre… Simon nous précise du reste dans un texte que les élus «se connaissent, travaillent côte à côte et partagent un espace culturel commun.» De là à parler de connivences, voire de copinages, il n’y a qu’un pas. Mais la chose importe-t-elle, vu que dans cette conception «Bisounours» de l’art, il s’agit de «célébrer de caractère collectif, solidaire et inclusif de la scène locale»?

Et de fait, à partir d’une composition vieille de trente ans de Pauline Oliveros, «Poems of change», tous les poncifs vont se voir alignés dans les trois salles offertes par le plateau du premier étage. Ce qui est dit n’est pas faux, bien sûr, mais faut-il sans cesse répéter comme des mantras les mêmes mots et convoquer le genre, le queer, le patriarcat, le féminisme, l’anticolonialisme, la négritude, la marchandisation des corps, l’exclusion, le body positive et l’«utopie comme démarche insurrectionnelle» à tout bout de champ, comme on agiterait des béquilles? Apparemment oui. La douzaine d’artistes convoqué.e.s (j’avais oublié l’inclusion) plus le commissaire appartiennent en effet à cette génération dont parlait avec une certaine appréhension «Le Monde» il y a quelques jours. Pour elle, il n’y a plus d’esthétique, ni même d’œuvres existant par elles-mêmes. Ces dernières valent désormais par le seul message politique et social qu’elles véhiculent. Alors qu’importe si celles-ci semblent ici souvent sortir de Bricoloisir avant de retourner au néant.
Les œuvres ont en commun de révéler la sensibilité, la créativité et l’implication inédites avec lesquelles cette génération d’artistes interroge la complexité et le chaos de notre époque.»
Simon Würtsen Marin a donc imposé à ses invités le thème du changement. Il y a d’eux une œuvre conçue «ad hoc» et une pièce plus ancienne, certaines d’entre elles faisant partie des collections du MCB-a. Les propositions apparaissent bien sûr hétéroclites, mais «elles ont néanmoins en commun de révéler la sensibilité, la créativité et l’implication inédites avec lesquelles cette génération d’artistes interroge la complexité et le chaos de notre époque.» Cette citation me paraît importante. La seconde mouture de «Jardin d’hiver» (ce type de jardin étant comme il se doit colonialiste) me semble caractéristique d’une génération se croyant à la fois la première et la dernière. La dernière parce que l’avenir s’annonce plutôt mal. La première parce que personne n’a jamais réfléchi avant elle. Si on l’écoutait, il n’y aurait guère eu de moment pire qu’aujourd’hui. Je me demande ce qu’en penseraient ceux qui ont créé en Europe entre 1939 et 1945. Ceux qui ont travaillé en France sous la Révolution et l’Empire. Ceux qui ont vécu les pestes du Moyen Age.

Autrement, que retenir de «Poems of Change»? Eh bien pas grand-chose, même s’il y a tout de même eu des progrès depuis les Persans de madame Gasparina! La capitale vaudoise a possédé il y a une vingtaine d’années une scène très dynamique, comme l’a du reste reflété il y a quelques mois au MCB-a l’exposition des achats de la BCV. La relève se fait attendre, en dépit des prétentions planétaires affichées ici. Il faut dire que les petits jeunes doivent se confronter avec la rétrospective de Silvie Defraoui, présentée un étage plus haut. Douloureuse comparaison… A 88 ans, cette dernière manifeste une jeunesse et une liberté transformant tout ce que l’on voit quelques mètres plus bas en expressions d’un nouveau conformisme ne valant pas mieux que l’ancien. Parce qu’enfin c’est bien là que réside le problème. Ce nouveau «Jardin d’hiver» m’a semblé terriblement conformiste. Autant dire que son auteur s’est planté, ce qui me semble ennuyeux pour un jardin!
Pratique
«Jardin d’hiver#2, Poems of Change», Musée cantonal des beaux-arts, 16, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 21 mai. Tél. 021 318 44 00, site, www.mcba.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h. Pas de catalogue, mais une petite brochure d’accompagnement avec des visuels d’Ali Eddine-Abdelkhalek et un texte de Marie DuPasquier. Elle se voit vendue cinq francs. C’est pas cher et c’est cher en même temps.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Exposition à Lausanne – «Jardin d’hiver» revient montrer la scène vaudoise
La nouvelle mouture de cette biennale s’intitule «Poems of Change». Tous les poncifs ont été déversés par le commissaire Simon Würsten Marin.