
Le Musée Barbier-Mueller se montre pour le moins ouvert aux dialogues. Ses abondantes collections ont déjà bavardé avec la dessinatrice Silvia Bächli ou le photographe Steve McCurry. Elles conversent aujourd’hui en compagnie de Jacques Kaufmann. «Ecarts et correspondances», nous dit le titre. Tout un programme! Et pour le moins inclusif. Qu’on soit d’accord ou non sur le petit jeu des ressemblances n’a finalement aucune importance. L’essentiel est qu’il y ait eu à un certain moment un échange.
Un homme du monde
C’était une bonne idée pour l’institution privée que d’inviter Jacques Kaufmann. Né à Casablanca en 1954, le céramiste est au sens propre un homme du monde. On l’a vu partout, de l’Afrique à l’Asie. On sait qu’il a beaucoup enseigné son art, de la Suisse romande à la Corée. La chose suppose qu’il ait auparavant beaucoup appris. C’est un curieux, un bavard et un passionné. La poterie constitue il est vrai un trait d’union mondial depuis son invention il y a plus de dix mille ans. L’argile qui la compose possède par ailleurs pour le Genevois d’adoption deux versants, qu’il était intéressant d’exploiter parallèlement dans une exposition comme celle-ci. «La structure moléculaire de l’argile, comme la pratique de la céramique, est constituée de strates. Mémoires minérales d’un côté. Historiques et culturelles de l’autre.» Autant dire que l’étendue de son champ semble infinie.

Il fallait cependant choisir, et donc se limiter. Jacques Kaufmann a parcouru les réserves du Musée Barbier-Mueller, riches en céramiques allant de la lointaine préhistoire à l’époque contemporaine. Il a parallèlement exploré avec Laurence Mattet et Anne Joëlle Nardin ses propres réserves d’atelier, pleines de cinq décennies d’expérimentations diverses. Il s’agissait d’établir entre elles des relations parfois évidentes, parfois aléatoires. L’essentiel restait que les objets aient quelque chose à se dire. Notons au passage que tous ceux retenus ne sont pas nés de l’argile. Il y a ici également, tiré du fonds muséal, des marbres, du bois, de l’or ou du cuivre. C’est alors la forme ou le décor qui créent des liens. Ceux-ci éclatent en partie grâce à la magie de la lumière. La scénographie de Nicole Gérard participe comme d’habitude à la somptuosité du résultat au rez-de-chaussée, sur la mezzanine et cette fois en prime dans une partie du sous-sol.
Du moyen et du petit
Jacques Kaufmann nous montre des pièces de moyennes et de petites dimensions. Normal. Il lui a fallu s’adapter à la taille des lieux. Ce n’est pas comme à l’Ariana en 2019. Pas question ici de construire d’immenses murs de briques pérennes dans un jardin. Mais l’homme n’est pas que celui du monumental. Au XIXe siècle, un amateur demandait à Ingres comment il pouvait un jour exécuter un portrait et un autre une grande composition religieuse. Le peintre avait répondu: «parce que j’ai plusieurs pinceaux.» Il existe donc aussi un Jacques Kaufmann donnant des vases de moyen format, voire quelques pièces presque naines. Elles vont se marier les unes avec les pots étonnants que façonnent les femmes Zulu (on ne dit plus «zoulou») en Afrique du Sud. Les autres feront pendant à de minuscules figurines cycladiques ou anatoliennes. Deux des points forts du Musée Barbier-Mueller qui avait proposé, il y a bien des années, une exposition pionnière sur la céramique contemporaine africaine, aujourd’hui fâcheusement concurrencée sur place par un plastique faisant plus «moderne».

Il n’y a pas que des œuvres grecques, égyptiennes, romaines, mésopotamiennes, précolombiennes ou africaines dans le parcours. Outre ses propres pièces de terre jouant de la brique déformée, de l’accumulation, du ponçage ou du dessin estampé, Jacques Kaufmann propose en effet ses expériences avec l’ardoise, qu’il fait chauffer au four. C’est la «mémoire minérale» qui ressurgit ici. Ou pas. Il arrive en effet que l’ardoise se souvienne d’avoir été argile, et avant cela encore granite il y a des millions et des millions d’années. Elle explose alors littéralement dans le four, donnant des expansions libres ressemblant volontiers à des pâtes feuilletées. Un puissant travail réalisé avec la complicité du hasard. Jacques Kaufmann aime à ne pas toujours tout maîtriser. Il ne fait plus ici qu’accepter ou non le résultat comme une expérience esthétique.
A chacun son exposition
Très réussie, cette exposition (où il est parfois permis de toucher) se doit de devenir différente pour chaque visiteur. Elle joue avec sa culture propre, sa sensibilité personnelle et son système de références. Ce sont eux qui vont lui faire admettre (ou non) tel ou tel rapprochement. Telle ou telle synthèse. Telle ou telle idée. La richesse d’«Ecarts et correspondances» tient à la fois dans la beauté des œuvres proposées et dans la multiplicité des sens possibles. Il n’y a ici guère qu’une évidence globale. La céramique ne forme pas un art mineur. C’était du reste l’un des buts de l’opération. La manifestation actuelle initie rue Jean-Calvin «un riche programme d’expositions à l’occasion du 50e Congrès de l’Académie internationale de la céramique (AIC), dont le siège se trouve à l’Ariana.» Cet événement se déroulera à Genève du 12 au 16 septembre prochains, avec des retombées dans toute la ville comme à Carouge. Et on n’y recollera pas que des pots cassés!
Pratique
«Ecarts et correspondances», Musée Barbier-Mueller, 10, rue Jean-Calvin, Genève, jusqu’au 2 octobre. Tél. 022 312 02 70, site www.musee-barbier-mueller.ch Ouvert tous les jours de 11h à 17h.

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Céramique – Jacques Kaufmann prend place chez les Barbier-Mueller
Le céramiste genevois propose ses œuvres face à celles, archéologiques ou ethnographiques, issues des collections du musée privé genevois.