
Sa sortie sera restée discrète. Une annonce lapidaire par sa secrétaire quatre jours après le décès, survenu le 5 août. Aucun détail, aucun commentaire alors que les obsèques ont déjà eu lieu au Japon en présence de quelques proches. Une presse réduite enfin, puisque nous sommes en ce moment dans la semaine la plus creuse de l’année. Mais peut-être Issey Miyake (dont le nom signifiait «trois maisons» et «une vie») voulait-il finalement un tel départ, qui suivait une forme de retrait… On a bien moins parlé du couturier ces dix dernières années. Il faut dire qu’il avait célébré ses 84 ans en avril dernier. Son dernier éclat véritable avait été en 2010 le lancement du sac Bao-Bao, fait de triangles rigides assemblés par des rivets. On n’en aura que trop vu. Des vrais et des faux. L’imitation, comme disait Coco Chanel constitue avant tout une forme d’hommage.
Une victime d’Hiroshima
Issey Miyake était né à Hiroshima en 1938 (1). La bombe a explosé en août 1945 à trois kilomètres de chez lui. Irradiée, sa mère est morte trois ans plus tard. Lui-même portait les séquelles de la catastrophe. Une maladie osseuse s’est déclarée en 1948, bouleversant sa scolarité après l’avoir laissé pendant des mois entre la vie et la mort. L’enfant a alors décidé, car c’était là un acte volontariste, d’adopter un optimisme inébranlable. Les pessimistes sont, quoi qu’ils en croient, toujours des perdants. Et Issey s’est promis de se lancer dans une voie artistique, et donc créatrice. Ce fut vite la mode, qui ne constituait en général pas de l’art pour ses concitoyens. Il a ainsi suivi les cours de la Tama Art University, où il faisait un peu figure d’ovni.

En 1965, le débutant s’est retrouvé à Paris, qui passait encore pour la capitale de la haute couture. Une vision élitiste qu’il ne partageait pas forcément. Son idée était plutôt de créer pour le plus grand nombre. Mais, comme toujours, la réalité est venue s’interposer. Les matières innovantes qu’Issey entendait utiliser coûtaient cher. Et, en attendant d’ouvrir sa propre maison (ce qui restait à l’époque encore possible), il lui fallait travailler pour Guy Laroche. Une firme très traditionnelle. Ou Givenchy, plus chic et plus cher. Miyake n’atteindra son but d’indépendance qu’en 1973. Un premier défilé, à New York, puis à Paris. Et l’ouverture de sa propre entreprise. La presse spécialisée le soutiendra très vite. Le Japonais saura par ailleurs utiliser le talent des grands photographes. On se souvient ainsi des images de ses robes prises par Irving Penn.

Quand on s’appelle «trois maisons», on en garde au moins une dans son pays. Miyake a donc toujours œuvré entre deux continents et deux cultures, tout en se partageant entre l’art et le commerce. La couture coûte cher, même si les parfums se révèlent parfois hautement rentables. Issey a lancé le premier d’entre eux en 1992. Il a continué d’en inventer pour hommes et femmes. Les premiers doivent depuis longtemps se voir intégrés dans le luxe pour apporter leur eau (de toilette) au moulin. Le couturier a ainsi pu créer dans son pays natal le Miyake Design Center, construit par le frère de Tadao Ando à partir d’une idée lancée en 1970. Le lieu devait lui permettre d’aller au-delà de la mode pour couvrir l’ensemble du design. Il s’agissait d’un laboratoire d’où devaient sortir de l’incubateur les créateurs nouveaux. Beaucoup de ses objets se voient aujourd’hui diffusés par Artemide.

Que restera-t-il d’Issey Miyake, dont l’étoile a atteint son zénith dans les années 1980, quand certaines élégantes ne juraient plus que par lui? Les nouvelles matières bien sûr, du moins celles qui demeuraient jusque-là inédites dans la confection. Elles vont de certains matelassés au papier, en passant par le fil de fer. Il y a l’amour du plissé ensuite, qui lui faisait prendre en plus moderne la succession de Madeleine Vionnet ou de Madame Grès. Je citerai le flirt avec les beaux-arts, ses modèles pouvant faire penser à des sculptures mobiles. Il me faut mentionner enfin une certaine tendance à l’importable. Elle le faisait cousiner, en moins baroque tout de même, avec l’Italien Roberto Capucci (2). Tout cela dénotait un certain goût de l’élégance, qui s’est aujourd’hui perdu. La mode de Miyake n’a rien de «fun» ou de «kitsch». Aucun caractère éphémère. Elle entend se situer dans le domaine du beau. Or «beau» fait aujourd’hui partie des mots interdits…
(1) On parle toujours des victimes d’Hiroshima, jamais de celles de Nagasaki…
(2) Aujourd’hui retiré, Capucci va sur ses 92 ans. Curieux de l’apprendre quand on pense que l’homme fut «le benjamin des couturiers italiens» après avoir fondé sa maison à 22 ans…
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Couture – Issey Miyake est parti sur la pointe des pieds
Le Japonais avait 84 ans. Il a connu le sommet de la gloire dans les années 1980, avec ses plissés et de nouvelles matières audacieuses.