L’année 2023 a rendu l’intelligence artificielle tangible pour le commun des mortels. Si nos éminents professeurs de l’EPFL nous rappellent que l’IA débutait déjà il y a 20 ans, pour le citoyen lambda, c’est la sortie fracassante de ChatGPT qui sonne l’avènement de l’IA en matière de création de texte et d’images.
Au risque de passer pour un optimiste, je pense que cette nouvelle étape dans le développement de l’IA va au contraire clarifier le jeu et constituer une bonne nouvelle pour les sources d’informations fiables, après des années de confusion.
Je m’explique… La réaction est forte: l’état de New York interdit ChatGPT dans les écoles. L’Italie va plus loin en interdisant ChatGPT sur son territoire. Par ailleurs, une centaine de personnalités demandent un moratoire de 6 mois : un curieux retournement quand on sait que l’un des pétitionnaires est Elon Musk lui-même, l’un des investisseurs précoces d’OpenAI, l’éditeur de ChatGPT! (mais l’extravagant fondateur de SpaceX et Tesla nous a habitué à ces coups d’éclat).
Toutefois, le bon sens montre qu’il sera toujours possible de contourner les interdictions (par un VPN par exemple), et les moratoires ne sont contrôlés par personne. Il n’est pas réaliste de vouloir mettre des milliers de développeurs en vacances pendant 6 mois.
Jusqu’ici, les réseaux sociaux et autres médias sans intermédiaire contenaient une quantité suffisante de nouvelles vraies, mélangées à des nouvelles fausses (les « fake news »), pour que l’intérêt à y passer du temps demeure. Dès le moment où les fausses nouvelles et les fausses images créées par les logiciels d’IA submergeront les réseaux sociaux, on ne se demandera plus si le contenu est faux ou vrai, on partira de l’hypothèse qu’il est faux. C’est une question de quantité et de probabilité. Un roman est une histoire inventée, un livre scientifique est une tentative d’établir la vérité, il n’y a pas d’ambiguïté.
Pour ceux qui cherchent des informations fiables, il ne restera qu’une solution : se tourner à nouveau vers les sources qui vérifient les informations. Je parie sur le grand retour de la BBC, de la RTS, des sites web des autorités publiques.
Le New York Times et Le Monde, tant qu’ils investissent dans les talents de leurs journalistes et leurs chercheurs, connaîtront un avenir radieux. Ils ne sont eux-mêmes pas totalement infaillibles, mais c’est à nouveau une question de quantité et de probabilité : la chance qu’une information relayée par le Figaro ou The Economist soit vraie est bien plus élevée que le contraire.
Pour me divertir et perdre un peu de temps, je peux consulter les réseaux sociaux, mais pour me renseigner et prendre des décisions, je me tourne vers les sources fiables. La grande question demeure le coût. Tant que des informations sont gratuites, elles attireront le consommateur intéressé en nous, qui évitera une dépense supplémentaire.
Or, pour le bon fonctionnement d’une société, l’information vraie est presque aussi vitale que d’avoir un toit et de la nourriture, que chacun s’accorde à payer. Dès la jeunesse, familles et écoles doivent inculquer à nos enfants le sens de la valeur de l’information fiable. Au lieu de leur offrir des consoles de jeu, nous pourrions les abonner dès l’adolescence à des sources d’information qualitatives. Offrir un an d’abonnement à 24Heures, à BILAN ou à la NZZ à Noël ! Vous trouvez cela utopique ? Pensez-y encore quelques semaines.
Il existe d’autres modèles économiques : la fondation Aventinus à Genève finance les pertes du Temps et de Heidi News quand abonnements et publicité ne suffisent pas. L’Etat subventionne la RTS grâce à une taxe. Les entreprises peuvent soutenir l’AGEFI ou PME Magazine à coup de pages publicitaires : elles retrouveront leur investissement dans un environnement social apaisé et une gouvernance publique rationnelle. D’après ce que je lis, le Canard Enchaîné reste profitable sans publicité grâce au succès de ses contenus et révélations.
Des métiers prendront leur ampleur dans la vérification des informations : au niveau technique (comment repérer une image truquée) comme dans les contenus (chaque journaliste cache un enquêteur en soi). La méthode de la falsification de Karl Popper retrouve ses lettres de noblesse : au lieu de défendre une théorie, nous tentons d’en trouver les défauts pour la valider.
Rien n’est simple : la vérité est le résultat d’un effort, elle fait l’objet de tensions, de doutes, de travail. La vérité n’est pas disponible automatiquement, elle est une forge, une profession citoyenne. La vérité laisse ensuite la place à l’analyse, puis à l’opinion, au jugement de valeur, et enfin au choix.
La vérité permet le fonctionnement de la démocratie, le système politique qui rend les gens libres heureux. Les autres préféreront la facilité d’un destin tout tracé par un autocrate.
Que les réseaux sociaux se voient inondés de fake news constituera une opportunité inespérée pour un retour en puissance de médias de qualité, dirigés (et rédigés) par des humains et leur pensée critique.

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Intelligence artificielle – Fake news en masse? Une bonne nouvelle!
En 2023, ChatGPT révolutionne la création de textes et d'images. Paradoxalement, cette irruption de l’intelligence artificielle dans le paysage des réseaux sociaux et médias digitaux ne favorisera-t-elle les sources d’information traditionnellement considérées comme fiables?