Alors oui, lorsque l’on prend la photographie d’ensemble, ces évolutions (car il s’agit bien d’évolutions, non de révolutions) sont positives, et souvent nécessaires face à un monde du travail qui bouge, à l’arrivée d’une nouvelle génération d’actifs recherchant davantage d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, etc.
Mais si l’on se penche au cas par cas, ce New Work apparaît bien plus qu’on ne le pense comme un emplâtre sur une jambe de bois. Car le problème de fond est à chercher ailleurs.
Alors que ces nouvelles manières de manager commençaient à prendre de plus en plus d’ampleur, l’on aurait dû voir une diminution des cas de burn-out, de démissions, de turn-over, de conflits, de tous ces «maux» au travail que nous traitons depuis plus de vingt ans. Question de bon sens, ce New Work offrant la promesse d’un épanouissement plus grand des collaborateurs via plus de flexibilité/liberté/autonomie, etc., et donc d’un climat de travail en entreprise plus sain, plus serein.
Prévention ou réaction?
Et pourtant… Pourtant, c’est l’inverse que nous constatons. Là où nous intervenions comme «consultant préventif» il y a vingt ans, notre rôle s’est peu à peu transformé en celui de «pompier réactif» ces dernières années. Éteindre le feu, plutôt que le prévenir. Comment expliquer cela?
Le fait est que, face à un réel désir de flexibilisation, les entreprises doivent en même temps composer avec un vent contraire, une équation qui fait barrage à cette souplesse: le manque d’outils managériaux + le manque de temps pour manager.
Les managers, supposés être les horlogers du tempo de l’entreprise, n’ont jamais été autant accaparés par la surcharge (le fameux «faire toujours plus avec moins» que connaissent les collaborateurs), le phénomène encore bien présent de «réunionite» (un phénomène parmi tant d’autres) et la spirale infernale du stress ne leur permettant plus d’endosser leur rôle de coach auprès des équipes.
Agile ou pas agile, libérée ou pas libérée, flexible ou inflexible, quel modèle pour l’entreprise?
Autant vous dire que l’on s’en fout, tant que ces problématiques importantes, de fond, n’ont pas été résolues! Car l’important est – en premier lieu – ailleurs: accompagner les managers, et ce sans nécessairement viser un nouveau modèle de management en toile de fond ou comme corollaire à ces outils.
Accompagner les managers
Donner aux managers les bons outils et surtout du temps pour leur équipe est la seule solution pour limiter les risques psychosociaux (burn-out, conflits, surcharge, harcèlement(s), etc.), et la seule solution pour rendre l’entreprise attractive et permettre l’engagement des équipes en place ainsi que le recrutement de nouveaux talents.
L’on pourra mettre en place n’importe quel nouveau modèle managérial, tant que le manager, clé de voûte des process, ne sera pas «performant» dans son rôle (manager coach versus manager sous l’eau), ces modèles ne seront qu’un vernis. Un vernis qui, s’il est posé comme nous le voyons souvent sur un mur pourrissant, n’aura aucune chance de succès… voire aggravera et fragilisera encore plus les équipes.
On n’a jamais autant parlé de la responsabilité des entreprises et des employeurs concernant la santé des équipes, mais cette responsabilité doit aussi passer par la prévention managériale des équipes et le TEMPS et les OUTILS laissés aux managers pour manager.
Si le New Work est en général associé aux politiques de santé en entreprise comme solution miracle, l’on oublie trop souvent que, sans un terrain propice, fertile, à son développement, l’étincelle ne pourra – jamais – se faire.
J’ai vu nombre d’entreprises revenir en arrière, à des modèles plus traditionnels, convaincues que l’échec était lié à une entreprise pas «adaptée au modèle», à «une réticence de la part des équipes» ou encore à «un secteur qui n’est pas prêt pour ces évolutions» selon les raisons invoquées. Que nenni.
Le problème n’était pas dans le modèle en lui-même, mais bien dans le fonctionnement interne de l’entreprise qui ne permettait pas de le voir se développer.
Reconstruire les fondations
Pour moi, quatre points sont essentiels à prendre en compte par l’employeur avant d’être sûr qu’opter pour l’un de ces nouveaux modèles managériaux sera vraiment adapté et bénéfique à ses équipes et à son entreprise:
faire le bilan de «l’état» des managers! Comment est-ce que l’entreprise les soutient dans leur mission de chefs d’orchestre, et non plus de pompiers
mettre à disposition des ateliers de formation pour les managers et identifier les personnes qui ont un «vrai» profil managérial et pas juste un profil métier: avoir les bons chefs d’orchestre lors de l’implémentation d’un nouveau modèle est primordial, sans cela c’est l’échec assuré
laisser de la latitude aux managers pour manager, coacher les équipes, prévenir/régler les problèmes, une répartition saine entre leur rôle de manager et de leur métier/objectif
passer à l’étape suivante qui est celle du choix dans la manière de manager… et accompagner vers ce changement!
En résumé: changer de modèle n’est pas LA solution miracle! Plus de flexibilité, plus de liberté dans le monde du travail qui a presque toujours été hyperrigide et hiérarchisé, peut s’avérer très insécurisant pour l’ensemble des équipes.
Il ne faut pas avoir peur de la photographie réelle, ne pas tomber dans le risque de «photoshoper» son entreprise en voulant mettre un vernis sur un contexte non propice au changement.
En somme: prendre son temps en (re)construisant les fondations, plutôt que de se lancer à toute vitesse dans un changement. Au risque de voir celui-ci péjorer – de manière plus ou moins grave – le climat sur site, l’engagement, la productivité… voire mettre en péril l’entreprise dans son ensemble.

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Management – Entreprise libérée ou pas libérée? On s’en fout! (le problème est ailleurs)
Entreprise libérée, management «hybride», le «New Work» – et ses différentes facettes – occupe le devant de la scène, perçu comme le Graal venant révolutionner les entreprises. Mais ce champ lexical idéalisant est trompeur: il vaut mieux faire face à la réalité des situations pour renforcer les fondations.