Les capitaines d’industrie du XXe n’auraient pas imaginé leurs ouvriers introduire eux-mêmes le robot destiné à les remplacer sur les chaînes de montage. Et pourtant, depuis quelques semaines, ce sont les employés en col blanc – ouvertement ou discrètement – qui immiscent l’intelligence artificielle dans leur quotidien professionnel.
ChatGPT est sur toutes les lèvres et capable de tout. Produire en quelques secondes une synthèse sur un sujet complexe, résoudre un blocage et générer du code à la demande d’un informaticien, rédiger des courriers personnalisés à la place de l’assistante… ou encore réaliser la couverture de «Bilan» ce mois, grâce à une IA sœur de chatGPT, Dall-E.
À terme, ces gains de temps sur l’activité quotidienne pourraient occasionner des licenciements ou réductions horaires, une fois l’intelligence artificielle reprise en main par l’employeur. Le spectre d’une disparition massive du travail humain consécutive à l’émergence de l’IA, prophétisée de longue date par les gourous de la Silicon Valley, devient possible. Avec pour seul garant de la paix sociale un revenu de base universel pour tous, appelé de leurs vœux par Zuckerberg, Dorsey et consorts.
«On parle d’une bête sauvage dont on ignore encore les limites et comment l’approcher»
Mais ne sombrons pas dans un catastrophisme prématuré. En nous souvenant tout d’abord que la «révolution» de l’IA – depuis le robot-servant jusqu’à la voiture autonome – est jonchée d’annonces fracassantes dont on ne voit toujours pas la couleur dans notre quotidien. Mais également que les grandes vagues d’automatisation du XXe ont abouti à des mutations du travail, non à sa disparition.
Une fois de plus, maintenir son emploi passera par le réinventer, et le champ des possibles est à la hauteur du potentiel de l’outil. On ne parle pas d’une machine docile, dont un manuel d’utilisation de trois pages permet d’extraire la pleine puissance, mais bien d’une bête sauvage dont on ignore encore les limites et comment l’approcher. Le propre de l’intelligence artificielle (confirmant en ce sens les pires dystopies et fantasmes de la littérature et du cinéma) est d’échapper à son créateur.
Ainsi, chatGPT – conçu pour trouver des mots manquants dans une phrase – s’est révélée capable de traduire, synthétiser ou produire du code informatique à la surprise totale de ses concepteurs. Et gloire à celui qui saura la dompter! Tous s’essaient actuellement au «prompt» – ces consignes écrites pour diriger l’IA – dans un tâtonnement frénétique digne des périodes héroïques du web. On peut tout obtenir, il suffit de savoir comment le demander. Mais parler à une IA se révèle un art, ou une science, encore inexploré. L’interface humain-machine se profile comme la nouvelle frontière du monde professionnel.
Finalement, nous qui introduisons chatGPT sur notre lieu de travail ne sommes pas si suicidaires. Quand un basculement sociétal majeur est inévitable, autant en être partie prenante.

Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
L’éditorial – Dompter l’intelligence artificielle au travail
.