
Si Genève s’inscrit comme le Far West de la Suisse, considérons la commune de Poschiavo, dans les Grisons, comme son pendant à l’extrême opposé du pays. Avec moins d’habitants puisqu’ils sont environ 3500 et une température plus clémente en période de canicule. Dans cette vallée, on parle italien tout en sirotant un spritz sur la piazza à côté de l’église baroque, la Collegiata di San Vittore Mauro. La petite touche exotique de cette dolce vita helvète? Des palmiers ornent les rues pavées et les jardins.
Plusieurs restaurants intègrent ces spécialités régionales à leur carte comme la polenta noire faite à base de farine de sarrasin. Depuis peu, un producteur a même lancé sa propre huile d’olive avec… 20 litres par année! Il faut un début à tout…
Pour sublimer le séjour, on goûte à l’épaisseur du silence dans l’une des cellules du vecchio monastero. Les chambres en bois donnent sur le cloître ou le jardin de cet ancien monastère, une adresse insolite.
Nuitée au septième ciel
La seconde nuit se passera à presque 3000 mètres d’altitude mais on n’en est pas encore là. De Poschiavo, on grimpe durant une vingtaine de minutes lové dans un train régional qui emprunte le même trajet que le Bernina Express jusqu’au col Bernina (2203 m). Les voies ferrées reliant Thusis à Tirano traversent 55 tunnels et ont demandé la construction de 196 ponts. Cette prouesse technique a permis de désenclaver les Alpes suisses au début du XXe siècle et vaut au chemin de fer rhétique d’être inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.
Si les motards s’arrêtent sur le col pour se rincer le gosier et profiter du panorama, les adeptes de VTT s’enfoncent déjà dans les sentiers labellisés. Nous, on rejoint à pied la nouvelle base d’entretien du col de la Bernina, achevée en 2019.
Au sommet du silo de gravier et de sel, la visite de la Camera obscura ne se fait qu’en présence d’un guide. Dans cette chambre noire pensée par le bureau d’architectes de Coire Bearth & Deplazes et le photographe Guido Baselgia, la lumière s’infiltre par un petit trou. L’œil une fois habitué à l’obscurité découvre l’effet optique et les cimes enneigées des montagnes voisines qui habitent peu à peu la paroi vierge. Une expérience hypnotique qui invite à la méditation.

On grimpe dans le téléphérique de la Diavolezza qui nous hisse à 3000 m. Un sac à dos nous attend dans la cuisine du restaurant Berghaus où nous dormirons plus tard. On nous apprend, en allemand cette fois, que l’heure du dîner est non négociable: 18h30 tapantes pour tout le monde. À la décharge des patrons, la majorité des clients du gîte se lèveront à 3h30 pour entamer l’ascension du Piz Palü dont l’un des trois sommets titille les 3900 m.
Le barbecue le plus haut d’Europe
En petits joueurs, on souffle devant les 65 mètres de dénivelé qui nous mènent au Sass Queder à 20 minutes de la base. Nous voilà à craquer des allumettes tels des héros ratés de la télé-réalité Koh Lanta pour donner vie au barbecue le plus haut d’Europe. Qu’importent les regards moqueurs des autres randonneurs! Ils seront jaloux devant notre poulet mariné, côtelettes de porc et saucisses de veau.

Pas le temps d’un roupillon, Ernest Müller (75 ans) nous attend pour griller cette fois nos calories durant les deux heures du Glacier Experience Trail. Une balade le long du glacier Pers, sur la crête de la moraine: «J’ai déjà gravi 408 fois le Piz Palü et 190 fois le Piz Bernina qui coiffe les Alpes avec ses 4049 m.» En chemin, le guide nous pointe du bâton des fleurs mais aussi la fonte des glaces.
Un glaciologue violoniste
Le lendemain, on s’approche du Morteratsch depuis le sentier des glaciers, accompagné par Felix Keller. Le glaciologue sexagénaire nous sort de sa besace des planches et graphiques. Photos à l’appui, il nous alarme sur les mètres que perd chaque année le glacier depuis le milieu du XIXe siècle. Des panneaux ponctuent la promenade indiquant que le glacier se trouvait ici en 1970, puis là en 1980. «200 millions de personnes dépendent des glaciers dans le monde!»

À la fromagerie d’alpage de Morteratsch, où l’on s’encanaille devant une assiette de charcuterie, le scientifique détaille son projet. «Il y a les gens qui créent des problèmes et ceux qui trouvent des solutions. Je fais partie de cette deuxième catégorie. »
Un jour qu’il pêche sur le lac Gravatscha, une idée lumineuse le traverse. Et si on collectait l’eau fondue des glaciers pour la recycler en neige artificielle et saupoudrer le glacier en hiver? Felix met en place un système technologique qui ne requiert pas l’électricité. Un ingénieur indien tombe sur son étude. «Sonam Wangchuk aidait déjà les agriculteurs du Ladakh à pallier au manque d’eau en gelant les eaux de fonte pour former des monticules de glace similaires aux stupas», poursuit Felix.
Les deux hommes se rencontrent et se conseillent mutuellement. L’exposition «VR Glacier Experience» à la station de base de la Diavolezza explique, via un tour virtuel, l’impact que pourra avoir la mise en route d’un tel projet sur le glacier de Morteratsch.

Pour clore ce voyage, Felix sort de son sac un violon. Il utilise sa musique comme arme de séduction pour convaincre les sponsors de soutenir son projet. «Les 30 000 habitants de Leh, en Inde himalayenne, dépendent d’un glacier voisin qui fond à vue d’œil et sont directement menacés. Idem à La Paz en Bolivie. Alors, oui, le projet va se réaliser. La question est de savoir quel glacier sauver en premier», conclut-il avant d’entamer un morceau de tango.
Plus d’infos sur la région: www.valposchiavo.ch et www.engadin.ch

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Voyage dans les Grisons – Dolce Vita & le glacier Morteratsch
À l’autre bout de la Suisse, le canton des Grisons promeut des vacances au grand air: des palmiers d’une bourgade italophone au plus grand glacier de la région de la Bernina. J’ai testé ce grand écart.