
«L’année avait pourtant bien commencé…» En février 2020, Didier Ruef se trouvait encore dans un avion volant entre Milan et Stuttgart, puis à Hambourg, à Dubaï ou à Abu Dhabi. Puis, comme tout le monde, le photographe s’est retrouvé cloué chez lui à Viganello, au Tessin. Son univers avait singulièrement rétréci. Il fallait continuer sur un autre mode. Le Genevois s’est adapté au rythme d’une image par jour. Comme les adeptes de cette discipline, dont je vous parlais en décembre à l’occasion de leur exposition de groupe aux Pâquis. Mais sans rapport direct avec eux.
Se concentrer sur l’essentiel
«Il me fallait sept fois par semaine une photo qui tienne la route», explique Didier de passage en Suisse romande avec le livre qui en a résulté. Un gros album oblong, avec des centaines de clichés tirés en noir et blanc. «Un jour ma fille, qui est devenue adulte depuis, m’a dit préférer mon travail en noir et blanc à celui que je fais en couleurs.» Et comme la vérité sort de la bouche des enfants… «Il faut dire que l’absence de rouges, de bleus ou de verts oblige le spectateur à se concentrer sur l’essentiel, qui reste tout de même le sujet.» Il y a aussi là un graphisme qui s’imprime davantage dans les esprits. «Le confinement devenait l’occasion de réaliser un projet avec mon Ricoh GR III.» Il fallait bien sûr des règles. Ce que les plasticiens appellent de nos jours un protocole. «N’utiliser que cet appareil. Prendre chaque jour des images. N’en retenir qu’une par jour pour couvrir 366 jours en 366 clichés.» Eh oui! Souvenez-vous. 2020 était en plus une année bissextile…

Que montrer? Pas uniquement la pandémie, même si cette dernière a commencé dans notre pays par une flambée tessinoise. L’image du 25 mars représente ainsi une lignée de lits d’hôpital avec des gens intubés partout. «J’ai alors réalisé tout un reportage, que «L’Illustré» a eu le courage de publier avec des photos très dures étalées sur plusieurs pages.» Mais autrement, c’est ici la vie qui continue en sourdine dans la Suisse italienne. A Viganello, où vit Didier Ruef. Mais aussi à Agno, à Toricella ou à Lugano. Il y a aussi le reste du pays, où il demeure possible de voyager. Puis l’été, avec des incursions en Italie voisine. Un an en demi-teinte, même s’il n’y a pas de couleurs. «Une période presque sans activités véritablement professionnelles.» L’idée était de donner, vu d’un village suisse, l’idée d’un monde «habité de craintes et luttant contre l’inconnu.»

Il fallait encore matérialiser ce projet sous forme de livre. Didier est revenu chez Till Schaap, à Berne, une maison avec laquelle il avait déjà eu du plaisir à collaborer pour «Homo Helveticus». Il convenait ensuite de régler le délicat problème du tirage en noir et blanc. «Un procédé pour lequel les techniciens ont aujourd’hui perdu leurs habitudes anciennes, et par là leur maîtrise.» La photolithographie s’est ainsi faite à Muzzano, dans le district de Lugano, et l’impression à Vérone. «Les gens d’EBS Editoriale Bortolazzzi restent des magiciens.» Le produit, qui satisfait l’homme exigeant que reste à 60 ans Didier Ruef, se trouve aujourd’hui en librairie. Textes liminaires en quatre langues. La suite se déploie comme un calendrier. Jour par jour, avec la seconde précise de la prise de vue. Pour une année particulière (mais 2021 ne l’a pas moins été), il s’agissait d’être exact. Il y a là du témoignage. «Au cœur de l’histoire, il y a moi» comme disait Marguerite Duras, citée en première page.
Pratique
«2020, Didier Ruef», aux Editions Tilo Shaap, pages non numérotées. Il y en a par la force des choses un peu moins de 400.


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Livre de photographies – Didier Ruef raconte 2020 en 366 images noires et blanches
Etabli au Tessin, le Genevois a décidé de prendre «une bonne image par jour». Son monde s’est forcément recentré sur ce qui lui était proche.