
Vue de loin, la nouvelle peut sembler regrettable, mais anecdotique. Le Kunsthaus de Zurich est à la recherche de deux tableaux hollandais du XVIIe siècle. Petits, mais jolis. Les œuvres avaient été décrochées, comme environ 700 autres, après le début d’incendie sans gravité qu’a connu l’institution la nuit du 2 au 3 août 2022. Elles ont depuis disparu sans laisser de traces. «Nous gardons les yeux et les oreilles ouverts, au cas où les œuvres se trouveraient encore dans la maison», a déclaré Ann Demeester, la nouvelle directrice. Mais un vol semble à craindre pour «Soldats dans un camp» de Robert van den Hoecke comme pour le bouquet de fleurs avec narcisses de Dirck de Bray, daté de 1673.
Du Liban au Canada
Cette nouvelle, vous l’avez peut-être déjà lue quelque part. Et c’est là aussi que se situe le problème. Le musée alémanique a déposé une plainte le 13 janvier. Les panneaux de poche se sont alors vus inscrits dans le sinistre Art Loss Register. Il a bien fallu ensuite communiquer à la presse, et là le bât blesse lourdement. L’information croustillante a fait en quelques heures le tour du monde. Je l’ai aussi bien retrouvée dans «Le Figaro» parisien que rapportée par «L’Orient le Jour» libanais ou encore «Le journal de Montréal». Toujours sous la forme d’une même dépêche helvétique remaniée, bien sûr. Le mal n’en est pas moins fait.

De quoi est-ce que je veux parler? Très simple. Les deux œuvres envolées avaient été déposées au Kunsthaus par des particuliers. Le musée vit largement, trop largement à mon avis, de prêts. Il dispose ainsi, dans le domaine néerlandais, de la collection formé par les époux Knecht. Un magnifique ensemble composé presque exclusivement de tableaux minuscules. Autant dire que les rapports entre ce musée semi-privé et les collectionneurs se basent sur la une sorte de foi. On confie ses biens à cet établissement comme on porterait ses bijoux au coffre. Autant dire que le Kunsthaus forme en partie un garage de luxe qui accueillerait les Rolls de l’art, de Van Gogh à Rembrandt et de Picasso à Kandinsky.
«La possibilité que des œuvres soient actuellement introuvables nous ébranle.»
Or cette confiance se voit aujourd’hui balayée, même si un accident quelconque ne peut jamais se voir exclus. «La possibilité que des œuvres soient actuellement introuvables nous ébranle», a du reste admis Ann Demeester. En l’occurrence, deux issues plus ou moins favorables peuvent se voir envisagées. Au mieux, les tableaux se retrouvent dans un coin. Mais c’est la preuve que le Kunsthaus vit dans le désordre. Au pire, il s’agit d’un vol, et il prend alors des allures de passoire. D’où d’éventuels retraits. Quand il y avait eu en 2008 un braquage dans la villa abritant à l’époque la Fondation Bührle, beaucoup de collectionneurs ont fait décrocher leurs précieux tableaux des cimaises les jours suivants. Zurich ne constituait plus pour eux une «safe place». Il a fallu des années pour leur faire changer d’avis. Autant dire que la situation peut se reproduire.
Une série noire
C’est fâcheux, comme je vous l’ai dit plus haut, dans la mesure où le Kunsthaus a accueilli énormément de fondations privées et des prêts isolés. Le fonds réel du musée, celui qui lui appartient en pleine propriété, demeure restreint. Un «ratio» selon moi inquiétant. La proportion apparaît bien moindre en tout cas qu’à Berne ou à Bâle. Par volonté de devenir un phare européen en matière d’art, Zurich s’est mis en perpétuel danger. La chose tombe aujourd’hui d’autant plus mal que les polémiques sur la Fondation Bührle n’en finissent pas. Elles tiennent désormais de la paranoïa journalistique et politique. S’il y a (peut-être) de gros problèmes de provenances au Kunsthaus, ils se situent sans doute ailleurs au musée. Le départ d’incendie n’a rien arrangé. Dans la lutte pour la suprématie suisse, depuis longtemps entreprise face à Bâle, le Kunstmuseum de cette dernière ville a (jusqu’ici du moins) bien mieux tiré ses marrons du feu. La suite plus bas, avec de meilleures nouvelles du Kunsthaus.

La «Sanierung» de l’ancien bâtiment après un début d’incendie avance. Réouverture des salles entre mars et avril. Il y aura des carambolages d’époques… Une idée d’Ann Demeester, la nouvelle directrice
Dans la nuit du 2 au 3 août, comme je vous l’ai dit, le Kunsthaus a connu un début d’incendie vite maîtrisé. Il a néanmoins fallu décrocher les œuvres et nettoyer les salles. La partie ancienne du musée, longuement et coûteusement restaurée à la fin du XXe siècle, s’est du coup vue réexaminée. Il est apparu des «résidus d’amiante». Ils ont dû se voir éliminés. On peut aujourd’hui passer à la réinstallation des œuvres, tandis que le plafond du hall se voit remplacé dans le hall du bâtiment Moser de 1910. Il s’agit surtout se rendre le lieu moins sonore. Autant dire que l’unique entrée se trouve provisoirement dans le bâtiment Chipperfield.
Nouvelles acquisitions
Les salles du 1, Heimplatz devraient rouvrir entre mars et avril. Les visiteurs y retrouveront les tableaux et sculptures qu’ils connaissent. Il y aura aussi des nouveautés. Dons, dépôts et achats. Vous ne serez pas surpris qu’il y ait là, outre du Robert Rauschenberg, beaucoup de créations de femmes, de l’Israélienne Ella Littwitz, à la Genevoise Sylvie Fleury en passant par l’Américaine Marlene McCarthy. Les œuvres anciennes devraient se voir ponctuées de créations contemporaines afin de créer des chocs visuels. Il s’agit apparemment du dada de la nouvelle directrice Ann Demeester. Reste qu’il s’agit là d’une idée plutôt élitaire. Pour apprécier la rencontre, il faut au préalable connaître les deux parties.
P.S. A la suite immédiate de cet article, le Kunsthaus fait savoir que tous ses déposants ont été prévenus avant la déclaration à la presse. Aucun d’eux n’a manifesté pour le moment le désir de se retirer.
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Musée zurichois – Deux tableaux disparus du Kunsthaus créent le buzz
Deux petits panneaux hollandais du XVIIe siècle restent introuvables. D’où le risque d’une perte de confiance des déposants. Tout le monde en parle…