
Les Bains tiendraient-ils de la blanchisserie? Il semble permis de se poser la question après avoir lu «De la part du vengeur occulte», que signe Alain Bagnoud. Le Valaisan, qui ne dédaignait pas les magouilles de son canton d’origine, a ici troqué sa casquette d’écrivain romand contre celle d’auteur de «polar». Un genre possédant ses règles, comme le Milieu qu’il décrit souvent. Il convient de proposer des personnages plus que méchants que nature s’entre-tuant sur fond de corruption généralisée. Un grand «flash-back» se révèle bienvenu, comme dans les films noirs hollywoodiens des années 1940. Le lecteur a enfin droit à une solution, ce qui n’arrive pas toujours dans la vie réelle. Une vie aussi pimentée de cadavres qui n’est cependant pas celle de tous les jours…
Noir de noir
Il y a du chantage, de l’argent sale (ou en tout cas russe) et deux meurtres le long «De la part du vengeur occulte». L’antihéros, dans la mesure où aucun personnage ne se révèle ici sympathique, se nomme Alexandre. Il écrit la vie que lui a commandée un politicien genevois devenu très à droite pour avoir été dans sa folle jeunesse très à gauche. Le fameux mouvement du balancier. Notre protagoniste se voit chargé par celui dont il est devenu l’homme à tout faire de retrouver l’auteur de messages jugés menaçants par ce dernier, en dépit de leur apparente innocence. Une chose qui le mène dans le milieu, apparemment interlope, de l’art contemporain à Genève. Dans ma candeur, je n’aurais jamais imaginé que les vernissages du Mamco pouvaient refléter autant de luttes pour le pouvoir, ni receler de telles mondanités avec petits-fours. Ni que des galeries que je croyais sans problème, si ce n’est de faire un jour faillite, pouvaient servir de têtes de pont pour convertir d’affreux roubles en francs suisses. Mais qui dit rouble devrait penser «roublard».

Le lecteur voit ainsi défiler un assistant galeriste aux dents longues, une épouse d’oligarque chaussée par Louboutin et habillée via Prada (le Diable s’habille en Prada, ne l’oubliez pas!), une institutrice qui aimerait aller loin dans la vie, une épouse d’avocat un peu marron se rêvant reine de la culture locale ou un ancien metteur en scène théâtral devenu clochard. Il y a aussi un artiste de rue, appelé à mal finir, et d’autres comparses. Le tout me semble très fantasmé, pour ne pas dire irréel. C’est un peu comme si la rue de Bains, aujourd’hui mal en point, se confondait avec les Ports Francs de Monsieur Bouvier. Le livre s’est construit sur des clichés. Mais il s’agit également là d’une règle du jeu. Il convient de forcer le trait. Je ne crois pas qu’au Mamco «l’œuvre la moins chère corresponde au salaire d’une vie entière de chacun de ses employés». Il faudra au fait que je pose la question au directeur Lionel Bovier.
Déjà une autre époque…
L’honnêteté m’oblige à dire que j’apparais dans le livre à la page 152. En méchant, comme de bien entendu. C’est le quatrième ouvrage littéraire genevois dans lequel je me retrouve dans cet emploi. La chose ne m’a pas pour autant aidé à trouver la solution avant le dernier chapitre. C’est ce qui rend la lecture de cet ouvrage (plutôt mineur dans la carrière d’Alain Bagnoud) amusante. Je vous dirai juste qu’il y a en fait deux criminels dans ce livre devenu d’un coup d’une autre époque. Les oligarques paradent en un peu moins entre les Rues Basses et Cologny depuis le 24 février 2022.
Pratique
«De la part du vengeur occulte», d’Alain Bagnoud, aux Editions BSN Press, 187 pages.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Roman policier – Deux meurtres ont eu lieu au Quartier des Bains
Alain Bagnoud fait ses débuts dans le «polar» avec «De la part du vengeur occulte». Le livre se passe dans le monde de l’art contemporain.