
Un voyage est toujours propice à la réflexion surtout lorsqu’on se laisse bercer par le rythme du train tout au long du trajet sinueux bordant les rives du Lac Léman. A l’approche de la ville célèbre pour son festival de jazz, on imagine facilement le chef de gare crier sur le quai « prochain arrêt Montreux » comme du temps de l’Orient Express. Un voyage d’une heure à peine qui laisse présager un moment culinaire de haut vol. Direction l’École Hôtelière de Glion où Stéphanie côté salle et Stéphane Décotterd côté fourneaux ont repris depuis bientôt deux mois le bistrot et le restaurant gastronomique de la vénérable institution.
Panorama
Construit à flanc de falaise, l’établissement hôtelier offre une vue spectaculaire. Difficile de faire mieux en matière de décor tellement le panorama est saisissant ! Avec une ribambelle d’étudiants tous en uniforme de travail, l’ambiance à l’intérieur est à la concentration. C’est dans ces murs que les futurs cadres sont formés au métier de l’hôtellerie et restauration. Sous le même toit, deux restaurants et deux ambiances s’offrent aux convives afin de (re)découvrir l’univers Décotterd. Côté restaurant gastronomique, les nappes blanches sont de rigueur pour un repas tout en hauteur.
Alors que la carte des vins a été étoffée au moyen de quelques nouvelles variétés viticoles, la carte des mets, quant à elle, est triée sur le volet : 4 entrées, 3 poissons, 5 viandes et 3 desserts ! Un concentré gastronomique orienté, comme par le passé, vers le terroir, la saisonnalité et la localité. L’objectif est-il d’obtenir des distinctions ? La motivation est peut-être ailleurs mais le duo vise clairement les reconnaissances culinaires. Quoi de plus normal lorsqu’on s’est vu décerner deux étoiles au Guide Michelin et 18 points au GaultMillau dans le précédent restaurant du Pont de Brent.
Reprises musicales
Après une suite prometteuse d’amuse-bouches autour d’un bricelet fribourgeois encoffrant un tartare de truite et ses bourgeons de sapins, d’un biscuit à la tomme fleurette et d’une éponge moelleuse et ses lamelles de champignon, c’est au tour du Pastrami de Canard d’Appenzel de faire son entrée en scène sous une mauvaise reprise musicale de Franck Sinatra à un volume inadapté. Un restaurant gastronomique ne doit pas être plongé dans un silence de cathédrale mais il ne doit pas non plus ressembler à un bar dansant. C’est comme si dans notre époque moderne le bruit « devenait un droit ». Mais revenons à notre sujet ! Même si le dressage de cette entrée est de bon goût - chaque élément étant scrupuleusement ordonné au millimètre près - entre un pastrami bouilli en apparence, une timide royale de châtaigne et une émulsion de céleri bien trop liquide pour être appréciée à sa juste valeur, la synergie gustative ne fonctionne pas.
Avec le poulet fermier à pattes noires élevé à Epagny annoncé avec un temps d’attente de 50 minutes, les enchaînements sur l’ensemble du repas s’avèrent trop long pour un déjeuner. La présence sporadique de la maîtresse de maison ne semble pas rassurer les jeunes stagiaires qui semblent perdus et hésitants au moment de la découpe ; un manque d’assurance aussi évident dans leur gestuelle que dans l’énumération des plats qui n’est que l’exposé par cœur des intitulés de la carte. Il manque une histoire, un tempo, une poésie, une vie à ces récits afin de faire passer l’amour de la cuisine jusqu’à la table. Le carré d’agneau de Jaman rôti entier quant à lui est de toute beauté, cuit à la perfection. Un morceau de choix qui réconcilierait n’importe quel végétarien avec la viande. Dommage que les pommes boulangères aux oignons confits soient entassées dans l’assiette laissant une impression de dressage de bistrot et non de gastro.
Alors que le dessert du jeune prodige Christophe Loeffel autour de la poire pochée au vin cuit, crème au praliné de noix et son sorbet à la poire nous propulse en apesanteur sucrée, l’ensemble du déjeuner nous fait rapidement retomber sur terre. Le couple n’a pas encore trouvé ses repères au sein de sa nouvelle maison et le Pont de Brent semble être un lointain souvenir. Avec la nouvelle carte sur le point d’être éditée, un changement ne saurait donc tarder…

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Cuisine Hôtelière
Sur les hauteurs de Glion, les époux Décotterd prennent (très) doucement leur quartier au sein de la prestigieuse École Hôtelière.